Elle a le visage d’Audrey Hepburn, mais la voix du logiciel Siri : fièrement exhibée sur les plateaux télé, dans les grands-messes scientifiques, et même à la tribune de l’ONU, le robot Sophia continue de faire parler de lui, trois mois après s’être vu décerner la nationalité saoudienne. Une publicité tapageuse qui n’a pas manqué d’agacer Yann LeCun, ténor français de l’intelligence artificielle, qui a fini par réagir avec un commentaire assassin : Sophia « est à l’IA ce que la prestidigitation est à la vraie magie », un spectacle de marionnette misant sur la naïveté d’un public mal informé.

L’affaire pourrait être anecdotique, si elle ne trahissait l’ébullition que provoquent actuellement les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle, couplés au raffinement des techniques robotiques. Comme si le futur venait soudainement toquer à notre porte, avec son cortège d’angoisses et de fantasmes. Car si la bavarde Sophia fait songer à une version ultramoderne des automates d’antan, la recherche, elle, avance à grands pas, portée par une légion d’apprentis sorciers parfois dépassés par leurs propres travaux. Et chaque nouvelle avancée du deep learning, chaque nouvelle barrière franchie par l’IA, est désormais accueillie avec un mélange de fascination et d’effroi.

Les robots, en particulier, occupent une place à part dans l’imaginaire collectif, héritiers du vieux fantasme du golem, cette créature dépourvue de libre arbitre, conçue par l’homme pour le servir et l’assister dans ses tâches les plus pénibles – robota, en tchèque, signifie après tout « corvée ». Et si leur existence est déjà une réalité depuis plusieurs décennies dans l’industrie, elle pourrait l’être à son tour dans nos foyers, où les robots « intelligents » sont appelés à prendre place à l’horizon 2025. Moins Terminator que C-3PO, ces premiers robots humanoïdes commencent depuis quelques années à sortir des labos, notamment français, et prodiguent déjà quelques menus services : soutien scolaire, communication avec des enfants autistes, aide aux personnes âgées… Un secours sans doute bienvenu pour de nombreuses personnes en situation difficile, mais qui sème déjà des myriades de questions : quelles relations entretiendrons-nous avec ces êtres de plastique aux émotions factices ? Quelle sécurité pourra nous être garantie face aux risques de blessure et de piratage ? Et, surtout, peut-on imaginer résoudre de tels problèmes sociaux par la simple grâce de l’innovation technique ? Qu’ils soient vus comme des esclaves ou des compagnons, ces androïdes font penser au pharmakon des Anciens : bien utilisés, ils pourraient faire figure de remèdes à la solitude ; mal employés, ils ne seront qu’un poison de plus, coupables d’encourager l’isolement et l’absence de communication. Bref, après l’époque des fantasmes, voici venir le temps des promesses. Reste à savoir si celui-ci ne sera pas trop robot pour être vrai. 

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