Ces machines qui nous ressemblent
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Les robots humanoïdes représentent aujourd’hui une partie tout à fait minime de la robotique, et on peine encore à savoir s’ils ont véritablement un avenir. Ce sont des créations qui n’ont pas véritablement d’usage et qui se heurtent encore trop à leurs limites techniques et physiques. Et pourtant, il y a toujours chez nous une forme de fascination, intellectuelle et fantasmatique, à l’idée d’une machine qui aurait les mêmes propriétés qu’un être humain, qui ne serait pas simplement une machine utilitaire. Ce désir de créer des machines qui nous ressemblent est le fruit d’une histoire à la fois longue et compliquée, qui se partage entre un imaginaire quasi mythologique d’un côté, et un autre plus récent, lié à la révolution des Lumières et à son désir de comprendre le fonctionnement scientifique de l’être humain. Dès le XVIIIe siècle, on a ainsi cherché à concevoir des machines qui auraient les mêmes propriétés que l’homme, et cette ambition se poursuit aujourd’hui dans la recherche fondamentale, portée par la volonté de modéliser des aspects du comportement humain pour en doter une machine.
Nous avons de notre côté mené, il y a quelques années, une expérience au musée du quai Branly, en plaçant dans les couloirs du musée un robot capable d’interagir avec les visiteurs. Malgré son chapeau melon, son pardessus et son écharpe, notre but n’était pas de créer l’illusion d’un être humain. Or, sans jamais se méprendre sur sa nature, les visiteurs ont interagi avec lui comme avec une personne et, dans 90 % des cas, allaient même jusqu’à lui dire au revoir, d’un mot, d’un sourire, d’un signe de tête ou d’un salut de la main. Aucun autre objet ne peut prétendre à un tel traitement ! On rejoint là la définition anthropologique de l’animisme, soit l’idée d’une distinction entre nature humaine et notion de personne. Dans certaines cultures, le statut de personne est attribué aussi bien à des animaux qu’à des objets inanimés – des pierres, par exemple –, sans que ceux-ci ne soient confondus avec des êtres humains. On leur prête simplement des caractéristiques d’intériorité, d’intentionnalité, d’affectivité, que dans la culture occidentale nous réservons aux êtres humains. C’est ce qui a pu se passer avec le robot Berenson que nous avons conçu.
Mais une fois qu’on a dit cela, il faut tout de suite préciser l’élément du rituel : les comportements animistes obéissent traditionnellement à des circonstances très précises, et n’ont pas cours en dehors. C’était aussi le cas lors de notre expérience au quai Branly : elle se déroulait dans un cadre particulier, pour un temps délimité. Ce comportement envers les robots humanoïdes pourrait-il se généraliser et constituer le mode d’appréhension commun des machines ? C’est très difficile à dire à ce stade. C’est en tout cas sur cet aspect que travaillent aujourd’hui les roboticiens, afin d’élargir les contextes où ces interactions pourraient avoir lieu, hors du seul champ expérimental.
Cela dit, même si l’impact de la robotique humanoïde sur nos vies devait finalement rester minime, les questions que son développement soulève sont intéressantes, et participent à la constitution de notre imaginaire. Et cet imaginaire peut se révéler à son tour tout à fait décisif, car il motive les prochaines recherches et vient interroger les contours de notre humanité. Après tout, nous vivons à une époque où, de plus en plus souvent, des machines nous demandent si nous ne sommes pas des robots. Alors, plutôt que de fantasmer sur leur possible humanité, la question concrète qui viendra à se poser sera peut-être plutôt de savoir si les êtres humains ne se seront pas robotisés.
Conversation avec JULIEN BISSON
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