« Solidarité », par François Dubet
Depuis la fin des Trente Glorieuses, les inégalités se sont diversifiées et individualisées, recomposant alors les modèles de solidarité. Le sociologue François Dubet retrace l’évolution de cette notion au cours du XXe siècle, et souligne l’importance de redéfinir ce que nous avons de commun.
Nous vivons un moment paradoxal, car il me semble que l’on observe à la fois des élans de solidarité remarquables – comme en témoignent l’accueil spontané de réfugiés ukrainiens ou de nombreuses familles déplacées en raison des incendies de Gironde –, et la fragilité de cette même solidarité face aux crises sociale et écologique.
Hors des solidarités privées et familiales, la solidarité consiste à accepter de faire des sacrifices en faveur de personnes que l’on ne connaît pas et de bénéficier des sacrifices des autres. Elle a pris plusieurs formes dans l’histoire. Dans nos sociétés industrielles nationales, jusqu’aux années 1980, elle reposait sur un premier pilier : l’image d’une société semblable à une ruche, dans laquelle les abeilles contribuent à la richesse commune ; il était juste et bon que celles qui produisaient de la richesse bénéficient de la solidarité de celles qui les exploitaient – c’était le principe tacite de redistribution des plus riches vers les plus pauvres. Bien évidemment, cela ne s’est pas passé aussi simplement ! Il y a eu grèves et conflits, mais cette idée d’un lien organique entre des individus dépendant les uns des autres, qui faisait d’ailleurs la force et l’unité de la gauche, persistait. « Ceux qui travaillent, travaillent aussi pour moi. » Cela s’est manifesté de nouveau durant le premier confinement, quand on s’est aperçus, avec une forme d’émerveillement assez étrange, que les éboueurs, les caissières, les routiers… étaient des travailleurs essentiels, et pourtant sous-payés. On redécouvrait, en quelque sorte, que les « derniers de la classe » étaient parfois plus utiles que les premiers !
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