Quotidienne

Lola Lafon : « L’été, pour moi, c’était la France »

Manon Paulic, journaliste

Lola Lafon

Chaque vendredi de l’été, un artiste livre au 1 les ingrédients de ses étés particuliers. Aujourd’hui, l’écrivaine Lola Lafon, qui vient de publier Quand tu écouteras cette chanson (Stock), se rappelle de ses vacances dans les Landes et l’odeur du goudron chauffé par le soleil. 

Lola Lafon : « L’été, pour moi, c’était la France »
Stéphane Trapier

L’été, êtes-vous plutôt « création » ou « mode avion » ?

Ces dernières années, l’été a toujours été lié à l’écriture. J’ai beaucoup de mal à décrocher. Donc, pour être honnête, je suis plutôt en mode « création ». Et quand je n’écris pas, il faut que je m’active physiquement pour ne pas saouler mon entourage. Cette année, j’ai fait le canal Nantes-Brest à vélo. C’était une première expérience que je veux absolument renouveler. C’est une façon totalement différente de voyager.

 

La dépense physique vous aide dans le processus d’écriture ?

Oui, tout à fait. Plus que la dépense physique, c’est le mouvement répétitif. Celui que l’on retrouve dans la course à pied, la marche, le vélo, la nage… Il libère l’esprit. Je trouve qu’un mouvement sportif répétitif est très compatible avec l’élaboration d’un plan d’écriture. C’est sans doute parce que je ne suis pas une grande nageuse ou cycliste et que je ne fais pas d’exploits. La danse, par exemple, que je connais mieux, me demande une grande concentration pour chaque mouvement. Elle m’oblige à être parfaitement présente et empêche mon esprit de vagabonder.

 

Quel souvenir d’enfance associez-vous aux vacances d’été ?

Sans hésitation, celui de prendre l’avion toute seule, avec la petite pochette Air France autour du cou. J’habitais à l’étranger et tous les étés, on m’expédiait chez mes grands-parents en région parisienne. L’été, pour moi, c’était la France. J’adorais être confiée à une hôtesse de l’air. J’avais environ 6 ans la première fois et je me souviens de cette autonomie un peu excitante.

 

Y a-t-il un lieu en particulier lié à l’été ?

J’en vois deux. Les Landes, d’abord. Je les connais très bien pour les avoir arpentées quand j’étais enfant. Les Landes et leurs forêts de pins très monotones, mais dont les chemins pourtant ne se ressemblent pas. Et cette chaleur. On marchait longtemps pieds nus sur le sable brûlant pour rejoindre des plages désertes. Avant, sur les dunes, on trouvait des œillets sauvages. Je me souviens très bien de leur couleur mauve et de l’odeur très forte qu’ils dégageaient. Je n’en trouve plus aujourd’hui.

« Le livre de poche qu’on emporte à la plage, plein de sable, donc épais, et gondolé par l’humidité »

Mais l’été, pour moi, c’est aussi la Villette et son festival de cinéma en plein air. Son ouverture marque pour moi le vrai début de l’été. Je suis toujours hyper impatiente de voir la programmation. J’adore que ça soit thématique. J’aime aussi l’idée que beaucoup de gens se rassemblent devant un film. C’est pour cela que regarder un film sur un ordinateur ou sur un écran chez soi ne sera pour moi jamais du cinéma. J’ai besoin des réactions des autres.

 

Une odeur ?

Le goudron chaud ! C’est vraiment quelque chose que j’adore, l’odeur du goudron surchauffé. Je me souviens qu’un jour, j’avais été très intriguée par l’annonce d’un parfumeur qui disait avoir créé un nouveau parfum contenant un peu cette odeur. Je ne l’avais malheureusement pas retrouvée dans son parfum. J’aime l’idée que cette matière, le goudron, est présente tout le temps dans notre quotidien sans qu’on la remarque vraiment et que, tout d’un coup, par une saison, elle se met à devenir entêtante, voire à montrer une certaine sensualité. Cette odeur est elle aussi liée à l’enfance, à mes grands-parents. Il y avait ce petit coin où mon grand-père rangeait sa voiture. Ça sentait ce mélange. Du coup, chaque été, je pense à eux. Les odeurs de l’enfance sont souvent liées à des disparitions, à ce que l’on ne peut pas rattraper, aux gens qu’on a perdus. Il ne reste qu’elle, l’odeur, et le goût, aussi.

 

Quel est l’objet qui symbolise pour vous l’été ?

Le livre de poche qu’on emporte à la plage, plein de sable, donc épais, et gondolé par l’humidité. Mais pour la première fois cet été, j’ai testé la tablette et j’ai trouvé ça super. C’était un cadeau et je pensais que je n’allais pas m’en servir. Mais l’aspect pratique a fini par me séduire. Ce qui me gêne avec elle, c’est de ne pas pouvoir prêter mon livre à quelqu’un. Mais elle présente un avantage que j’apprécie particulièrement : pouvoir lire la nuit, sans lumière.

 

Quel livre avez-vous emporté cet été ?

Le prochain livre de Sigrid Nunez, What are you going through, qui sera bientôt traduit par les éditions Stock. Je suis en plein dedans, et c’est encore une fois vraiment excellent. Ce que j’adore chez elle, ce sont ses jeux avec la forme. Elle adopte les codes du roman pour mieux s’en débarrasser au cours du récit. J’aime le fait qu’on ne puisse pas vraiment la classer. J’avais adoré L’Ami (Stock, 2019). Au début, on a l’impression qu’il s’agit d’un roman, que c’est l’histoire d’une femme dont le compagnon est mort et qui va hériter de son chien. Mais Sigrid Nunez arrive à nous parler de tout : des relations amoureuses, des hommes, des rapports avec les animaux, de la solitude.

 

Quelle chanson vous rappelle l’été ?

Étrangement, c’est « Karma Police », de Radiohead. Quand je l’ai entendue à la radio pour la première fois, j’étais en voiture, en été. J’ai eu un choc, vraiment. Ça m’a fait l’effet d’une rencontre amoureuse. Je me souviens m’être dit : « Ce groupe-là, je vais l’adorer. » C’était un peu bouleversant parce que j’ai été très fan de beaucoup de groupes, mais, à ce moment-là, c’était un peu le calme plat. Et puis, d’un coup : cette musique, la voix de Thom Yorke, le texte, les arrangements. C’était un été, il y a très longtemps. Aujourd’hui encore, je suis émue quand je l’entends.

 

Quelle est la dernière carte postale que vous ayez envoyée ?

Je n’en envoie presque plus, malheureusement. Mais j’ai une très bonne amie qui fabrique ses cartes postales. Elle fait des collages. Au moment de répondre, il faut être à la hauteur. Comme je suis nulle de mes mains, que je n’ai aucun talent de ce style, je cherche toujours une carte un peu originale à lui envoyer et je n’en trouve jamais. Je finis toujours par lui envoyer une carte postale d’une banalité consternante et m’en excuser. Ça arrive très régulièrement. J’écris encore parfois des cartes postales à quelques amis. J’aime bien les cartes très kitsch. Certaines sont étonnantes, vraiment, notamment les photos de vaches accompagnées de petites phrases. J’ai du mal à résister. La carte postale devient alors un sujet de commentaires : on commente l’image de la carte postale. J’ai aussi un souvenir d’enfance avec les cartes postales. J’étais très fascinée par celles représentant des danseuses de flamenco dont la robe était en tissu. Je faisais des pieds et des mains pour en acheter, mais mes parents refusaient toujours. C’était pour moi un objet de convoitise très, très grande. À présent, j’en trouve rarement. Si un jour vous en voyez une, n’hésitez pas à me l’envoyer.

 

Conversation avec MANON PAULIC.

 

Bio express Lola Lafon est romancière et musicienne, et notamment publié La Petite Communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud, 2014) et Chavirer (Actes Sud, 2020). Son dernier roman, Quand tu écouteras cette chanson vient d'être publié aux Éditions Stock. 

 

19 août 2022
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