Quotidienne

Pénélope Bagieu : « J’ai mes valises pleines de “pourquoi pas” »

Marie Deshayes, journaliste

Pénélope Bagieu, autrice de bande dessinée

Chaque vendredi de l’été, un artiste livre au 1 les ingrédients de ses étés particuliers. L’autrice des bandes dessinées Culottées et Les Strates évoque aujourd’hui ses immuables vacances en Corse, l’odeur de l’immortelle, et l'ennui propice aux découvertes littéraires.

Pénélope Bagieu : « J’ai mes valises pleines de “pourquoi pas” »
© Eva Cagin / Gallimard

L’été, pour vous, c’est plutôt création ou mode avion ?

Je ne travaille pas du tout, et je le fais bien savoir. Je passe généralement les deux premières journées de mes vacances à dormir. Malheureusement, à 40 ans, c’est ce dont on a le plus besoin !

Mais paradoxalement, à chaque fois que je suis en vacances à ne rien faire, je finis par avoir envie de dessiner, et pas pour le travail. Il faut que j’aie passé trois ou quatre jours sans toucher un crayon, et tout d’un coup, je retrouve le rapport au dessin que j’avais avant de travailler. Je me mets à dessiner pour le plaisir, sans but, des choses que je trouve belles…

« Ça sent la Corse : les pins, l’immortelle, la mer… »

Et plus les vacances sont avancées, moins il faut me parler : je suis enfermée et je dessine. C’est un rebond qui fait que lorsque je rentre, j’ai plein d’idées.

Est-ce que vous arrivez pendant l’année à retrouver ce genre de moments ?

Comme pour beaucoup de métiers, je perds du temps dans des tâches annexes. Si la réalité de ce métier correspondait à la vision que l’on en a quand on est enfant – « Je vais être assise à une grande table avec plein de crayons de couleur et je vais passer ma journée à dessiner ! » – je n’en aurais jamais marre. Ce qui est épuisant et qui ronge physiquement, ce sont les mails. J’ai une super astuce, d’ailleurs, quand je pars en vacances. Je mets un message d’absence sur ma boîte mail sans préciser ma date de retour. Je ne le désactive pas tout de suite quand je rentre et pendant deux jours, je continue de savourer la joie de recevoir des mails en me disant que ce n’est pas grave si je ne réponds pas. J’aimerais avoir un message automatique d’absence à vie.

J’arrive très bien à ne pas regarder mes mails en vacances. C’est plus dur pour ce qui n’est pas tout à fait du travail. Je suis juste en train de regarder des chats sur Instagram… mais je réponds aussi à des messages. Ce qui est bien, c’est de partir dans un endroit où on ne capte pas. Je recommande le Berry !

Un lieu qui vous évoque l’été ?

La Corse. J’y passe tous mes étés depuis que je suis née, ma famille est corse. Je vais toujours au même endroit, avec toujours les mêmes copains, pour faire toujours les mêmes choses. Avant moi, c’était ma mère, avant ma mère, mes grands-parents…

Une odeur ?

Même réponse, la Corse ! C’est vraiment une odeur qui me gifle dès que je descends de l’avion. À l’aéroport d’Ajaccio, on arrive directement sur le tarmac très chaud et puis, très vite, ça sent la Corse, c’est-à-dire les pins, l’immortelle, la mer… Si on pouvait en faire une bougie parfumée, je m’en servirais tout l’hiver.

Un son ?

En Corse, devant chez moi, les Canadairs s’entraînent à faire leur plein d’eau. Je sais les distinguer des autres avions à leur son. C’est un ballet que je trouve sublime, ils passent en rase-motte au-dessus de chez moi, je connais même leurs numéros de matricule. J’ai une passion pour les Canadairs. Ça paraît un peu étrange, mais pour moi ça représente les vacances, même si quand on les voit partir, en général, ce n’est pas très bon signe.

Un objet ?

Les livres de poche. Il n’y a aucun autre moment dans l’année où je lis autant. En été, je peux avoir un livre qui me tombe des mains et ce n’est pas grave, j’en prends un autre : c’est une façon un peu insolente de lire, sans enjeux. Du coup, j’ai mes valises pleines de « pourquoi pas », de livres que je ne finis pas toujours.

Quel livre voulez-vous absolument lire cet été ?

J’ai dans ma petite besace le prochain Lola Lafon. Elle a dormi une nuit au Musée Anne Franck et en a fait un livre, Quand tu écouteras cette chanson [à paraître le 17 août chez Stock]. Tout ce que fait Lola Lafon m’appelle. J’ai le souvenir d’un été où j’ai lu d’une traite La Petite Communiste qui ne souriait jamais.

« Merci, Tonton, d’avoir eu de la SF dans ta bibliothèque »

Mon livre préféré, Dune, de Franck Herbert, je l’ai découvert par hasard dans une maison de vacances où je m’ennuyais, dans les Landes, chez un tonton. Merci, Tonton, d’avoir eu de la SF dans ta bibliothèque. Je te l’ai volé, ce livre, d’ailleurs, Tonton. C’est une lecture d’été qui s’est transformée en sacrée lecture de vie. Il faut deux facteurs pour ce genre de découverte : l’ennui et des livres qui sont là et que je n’aurais jamais achetés personnellement.

Avez-vous l’habitude d’envoyer des cartes postales ?  

J’aime bien les rituels de vieille dame. Je souhaite les fêtes, ce genre de choses. Mais j’attends d’aller à un endroit à cartes postales, un endroit à magnets, il faut qu’il y ait une tour de Pise ou quelque chose du genre… J’écris à ma mère, j’avoue. C’est un automatisme.

Quand j’étais ado, en vacances, j’écrivais de longues lettres à mes amis et je guettais la réponse. On ne se racontait rien, mais ça prenait quand même dix pages.

Quelle chanson représente pour vous le mieux l’été ?

Il devait y avoir à tout casser quatre cassettes dans la voiture de mes parents, dont une compil des Beach Boys. Ça m’évoque les trajets de huit heures, c’est l’enfer, on crève de chaud… On n’allait pas en Californie mais à Bergerac. C’était sympa quand même !

 

Propos recueillis par MARIE DESHAYES

Illustration : Les Strates, Pénélope Bagieu, Gallimard, 2021

 

Bio express

Diplômée des Arts décoratifs de Paris, Pénélope Bagieu rencontre rapidement le succès grâce à son blog Ma vie est tout à fait fascinante, lancé en 2007. Elle a depuis publié une dizaine d’ouvrages, dont la série de portraits féministes Culottées (Gallimard, 2016-2017), Sacrées sorcières (id., 2020), une adaptation du livre de Roald Dahl, et un premier récit autobiographique, Les Strates (id. 2021).

 

Cet interview a été réalisé dans le cadre des Francofolies de La Rochelle, dont le 1 est partenaire

05 août 2022
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