Quotidienne

Myriam Mihindou : « Le seul espoir qui vaille, c’est le présent »

Manon Paulic, journaliste

Myriam Mihindou, artiste

L’artiste franco-gabonnaise nous livre sa météo intérieure, entre la volonté de s’imprégner du pouvoir réparateur de la musique et l’inquiétude quant à la pollution d’un pays comme le Sénégal. Elle plaide pour investir réellement le présent, plutôt que de se perdre dans une fuite en avant.  

Myriam Mihindou : « Le seul espoir qui vaille, c’est le présent »
illustration Stéphane Trapier

Quelle est votre météo intérieure ?

Je me sens en dissonance, un peu comme la météo dernièrement. Nous sortons d’une longue rupture tactile et olfactive. Deux ans à porter un masque sur notre nez, à éviter de toucher les corps, et autant de temps à être privés d’informations sensorielles que nos cerveaux sont censés recevoir. Je crois que l’on n’a pas encore pris la mesure de cette atrophie. Deux ans à recevoir des informations dissonantes.

À force, on a fini par intégrer des mécanismes de pensée qui font que notre rapport au monde est faussé. On continue de tout attendre du futur, par désespoir, alors que le seul espoir qui vaille, c'est le présent. Travailler ce présent, l'envisager, se projeter à partir de sa matière, c'est ce qui est intéressant. C’est aussi ce qui permet d’ouvrir des perspectives heureuses. Si on est en permanence décalé, le corps ne peut pas s'investir dans le monde réel, il ne peut pas l’incarner. On est assujettis, en attente d’un miracle qui ne viendra pas.

Quelles actualités ont retenu votre attention dernièrement ?

Celles dont on n’a pas parlé. Prenons par exemple le Sénégal, un pays archi-pollué. A Dakar, on multiplie les conférences sur la pensée écologique, mais on ne parle jamais véritablement du territoire. C’est pourtant ça, l’écologie. Ce décalage-là me perturbe terriblement. On ne parle pas assez de l'existant.

Que voulez-vous dire ?

A cause du réchauffement climatique, on est obligés de plonger les moteurs des centrales nucléaires dans l'eau pour les rafraîchir. Parlons de ce problème-là, plutôt que d’aller imaginer un jardin potager bio dont l’irrigation dépendrait de toute manière d’une eau empoisonnée.

« Le futur, ça ne veut rien dire. Il nous met hors-jeu »

La 5G est un autre exemple. Elle est installée, c’est fait. La question aujourd’hui est de savoir comment vivre avec ces outils. Comment vivre avec l’existant ? On pourrait très bien imaginer des sortes de sas de décompression qui ne soient pas dans la lignée de ces ondes pour pouvoir récupérer de l'énergie. Ça, c'est véritablement de l'écologie contemporaine. Ne me parlez pas du futur, parlez-moi de ce sur quoi on a une prise. Le futur, ça ne veut rien dire. Il nous met hors-jeu. Voilà ce qui me met actuellement en colère, parce que je trouve qu'on perd du temps.

Qu’est-ce qui, à l’inverse, vous donne de l'espoir ?

Notre retour inévitable au nomadisme, qu’il est temps d’entrevoir comme une perspective heureuse. Le monde a toujours été une grande famille nomade. On nous a récemment habitués à nous enraciner dans des notions très industrielles de propriété, de sédentarité. Je me réjouis de penser que l’esprit nomade va reprendre sa place. C’est une philosophie de résilience, d'adaptation et de réinvention. J'aime un monde qui se réinvente, un monde vivant.

« J’ai été élevée dans l’idée que le monde est un et indivisible »

Je ne crains pas l'avenir parce que trouver des solutions à des problèmes, c'est notre job d’être humain. Il nous faut pour cela retrouver de la fluidité. Intégrer ces perspectives dans nos imaginaires comme étant des réalités et se dire que si Paris est inondé, on ira à Lyon ou en Éthiopie. J’ai été élevée dans l’idée que le monde est un et indivisible, et cette pensée ouvre tout un tas de possibilités. Si on persiste à croire qu'on doit nécessairement rester sur nos territoires, je pense que l'on se trompe.

Cette semaine a eu lieu la Fête de la musique. C’est un art qui vous tient à cœur…

Je travaille justement sur un projet pour le musée du quai Branly, pour valoriser ses fonds de réserve et de recherche ethnomusicologiques. Le cœur de toutes nos cultures ancestrales, et pas seulement de la culture africaine, c'est la vibration sonore. Le son vibratoire est élément réparateur pour le corps, réunificateur. Il fait du bien à nos petites cellules.

« Le cœur de toutes nos cultures ancestrales, et pas seulement de la culture africaine, c'est la vibration sonore »

La musique, ce n’est pas quelque chose d’anodin et je pense qu’elle doit revenir dans nos vies, dans nos villes. Que l’on cesse de la cantonner à des lieux, à une journée, une soirée, que l’on cesse de la considérer comme du « tapage ». La musique, la vraie, celle qui n’est pas là pour tapisser l’ambiance, est une présence. Elle adoucit les mœurs. Elle a énormément contribué au fait qu'on soit bien dans une société.

Vous vivez à Paris. Quel regard portez-vous plus globalement sur les villes ?

Ce sont des lieux actuellement problématiques. Il faut totalement repenser la ville pour la rendre de nouveau vivable. En privilégiant la nature, par exemple. La nature, c'est la douceur. C'est comme un enfant. C'est comme le feu, « el yak » [prononcé « yako »] pour les Gitans. Ce feu qui réunit les familles, qui permet de manger. Ce petit feu qui crépite et assure toute la douceur partagée du collectif, les récits, les paroles de toutes les générations confondues. En plein confinement, certains d’entre eux me disaient : « Tant qu'il y a le feu, on est heureux. » Je pense que dans les villes, il faut trouver quelque chose de fédérateur qui ressemble au « yak ». Un lien qui nous apaiserait, qui nous ferait du bien. Peut-être en créant davantage d’espaces du commun.

Que vous inspire la montée au Rassemblement national aux élections législatives ?

Ça ne me surprend pas. On fait tout pour que les gens, dans leur déception, fassent des choix politiques qui puissent profiter aux politiques. Certes, les Français peuvent être racistes, mais ils ont surtout été éduqués à l'être. Et je ne suis pas certaine qu'ils le soient fondamentalement. Les gens sont déçus. Ils ne veulent pas de Macron, ils choisissent Marine, ça s'arrête là. C'est l’expression d’un désespoir et le fruit d’une stratégie. Mais il ne faut pas que ce jeu politique pèse sur les épaules du peuple qui devient le bouc émissaire d'une politique mafieuse, malhonnête. Le peuple, c’est la force d’un pays.

C’est un très joli mot, « peuple », vous ne trouvez pas ? Il faut davantage le respecter. Pendant la pandémie, des personnes âgées sont mortes sans que leurs proches ne puissent les accompagner dans leurs derniers instants. C’est intolérable. Une journée nationale du deuil aurait pu être décidée, par respect pour eux, et pour soigner les plaies de ceux qui sont restés. Mais rien. Les étudiants ont énormément souffert, eux aussi. Combien ont tenté de se défenestrer ? Il nous faut revenir à cette forme d'humanité qui nous constitue et qui est garante d'une pérennité. Il faut prendre soin de cette jeune génération. Si on le fait, on réduira l’écart générationnel qui se fait que se creuser, et qui est assez spécifique à notre territoire. C’est sur ces petits fils qu’il faut tirer, j’en suis persuadée.

 

Conversation avec MANON PAULIC

Illustrations ZOÉ THOURON et JOCHEN GERNER

 

Bio express

Cette artiste franco-gabonaise est née à Libreville, en 1964. Elle entre au contact de l’art par le forgeage avant de s’essayer à différents supports, tels que la sculpture, le dessin, la vidéo, la photographie ou la performance. Son œuvre à caractère autobiographique sonde les questions de mémoire, d’identité et des corps dans toutes leurs dimensions. Son portrait est à retrouver dans Présences africaine dans l’art d’aujourd’hui, un numéro du 1 paru en mai 2021.

Myriam Mihindou est artiste associée à l'exposition Globalisto, réunissant 19 artistes au musée d'Art moderne et contemporain de Saint-Étienne, du 25 juin au 16 octobre. Le  y a consacré une deuxième feuille dans son numéro 402. 

24 juin 2022
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