Quotidienne

« Notre traversée fut très heureuse »

[Récits d’exploratrices 4/6] Lors de son ultime voyage qui la mène à Madagascar, l’exploratrice et naturaliste autrichienne Ida Pfeiffer découvre l’île de La Réunion et passe plusieurs mois sur l’île Maurice.

« Notre traversée fut très heureuse »

Ida Pfeiffer voyage seule et avec peu de moyens financiers, et rapporte des spécimens de plantes, d’insectes et de papillons de ses voyages, ce qui lui vaut la reconnaissance de la communauté scientifique. L’Autrichienne se rend à Constantinople, à Jérusalem, en Islande, et effectue deux tours du monde avant d’aller à Madagascar, en 1857.

Alors qu’Ida Pfeiffer songe à voyager à Madagascar, elle rencontre le commerçant français Joseph Lambert au Cap, qui connaît la reine malgache Ranavalona Ire, et propose de l’accompagner sur l’île. Ils séjournent cinq mois sur l’île Maurice, où vit Lambert, avant de mettre les voiles sur l’île rouge. Une fois sur place, elle découvre que ses compagnons fomentent un coup d’État pour mettre sur le trône le fils de la reine. Lorsqu’elle celle-ci s’en aperçoit, elle les chasse de l’île. 

Dans ce texte, l’exploratrice retrace son cheminement depuis le Cap à l’île Maurice, en passant par l’île de La Réunion. 

 

Chapitre VI

 

Le 18 novembre 1856, je partis du Cap pour l’île Maurice sur le beau vapeur Governor Higginson, de la force de cent cinquante chevaux, commandé par le capitaine French. Ce vapeur avait été nouvellement construit par actions, dont la plus grande partie appartenait à M. Lambert. M. Lambert ne me laissa pas payer ma place, et il ne l’eût pas souffert quand même il n’aurait pas possédé une seule action. Il prétendit que j’étais son hôte jusqu’à mon départ définitif de Maurice. 

Notre traversée (deux mille milles jusqu’à l’île Maurice) fut très heureuse, et, bien que nous eussions mis à la voile par une mer orageuse et que les vents nous fussent presque toujours contraires, une des plus rapides effectuées jusqu’à ce jour. À part quelques trombes insignifiantes, nous ne vîmes rien de curieux jusqu’à l’île Bourbon. 

J’appris qu’il y avait quarante-sept hommes attachés au service du steamer et que les dépenses courantes, le charbon non compris, montaient à plus de cinq cents livres sterling par mois. On usait chaque jour environ vingt-cinq tonnes (cinquante mille livres) de charbon de terre, et le charbon, dans beaucoup d’endroits, revient très cher, comme au Cap, où il coûte deux livres sterling et demie (soixante-deux francs cinquante centimes) la tonne. 

Ida Pfeiffer, 1856. © Franz Hanfstaengl / Wikimedia Commons

 

Le 1er décembre, nous découvrîmes la terre dès le matin, et dans l’après-midi nous jetâmes l’ancre dans la rade peu estimée de Saint-Denis, capitale de l’île Bourbon. 

Cette jolie petite île, appelée aussi île de la Réunion, est située entre Maurice et Madagascar, entre les vingtièmes et vingt et unièmes degrés de latitude sud et les cinquante-deuxième et cinquante-troisième degrés de longitude est. Elle a quarante milles anglais de longueur et trente milles de largeur, et compte environ deux cent mille habitants. 

Découverte l’an 1545 par le Portugais Mascarenhas, occupée en 1642 par les Français, elle fut soumise de 1810 à 1814 à l’Angleterre, et depuis ce temps elle appartient à la France. 

L’île Bourbon a de belles chaînes de montagnes et de vastes plaines qui s’étendent le long de la mer. Ses parties basses sont plantées de canne à sucre, qui y vient admirablement et qui donne à l’île un aspect d’une extrême fraîcheur et d’une prodigieuse fertilité. 

Le tableau se termine par une belle chaîne de montagnes

La ville de Saint-Denis avance beaucoup dans la mer et est entourée de jardins et d’arbres toujours verts. Elle est adossée à une colline peu élevée, sur laquelle est un édifice, semblable à un palais, qui domine fièrement le pays. Je pris d’abord cet édifice pour la résidence du gouverneur, mais il avait un plus noble usage : c’était l’hôpital. L’église catholique se trouve aussi sur la colline, contre le pied de laquelle vient s’appuyer une longue construction composée d’un rez-de-chaussée et de belles colonnades qui, au premier abord, ressemble à un aqueduc romain ; mais, en l’examinant de plus près, on y découvre des fenêtres et des portes : c’est la caserne. Le tableau se termine par une belle chaîne de montagnes qui se partage en deux et ouvre une vue ravissante sur une gorge remplie d’une magnifique végétation. 

Je ne vis tout cela que du pont, car nous ne restâmes que peu d’heures, et elles furent employées aux formalités d’usage : visites du médecin, de l’officier de la station, de la douane, etc. Ces formalités à peine accomplies, la vapeur se remet à siffler, les roues à entrer en mouvement, et nous reprîmes la route de l’île Maurice, éloignée de cent milles. 

Le lendemain, nous avions perdu depuis longtemps de vue l’île Bourbon, et nous apercevions déjà l’île Maurice, où, dans l’après-midi, notre vapeur était amarrée à Port-Louis, capitale de l’île. Mais il fallut attendre trois heures avant de pouvoir débarquer. Je descendis dans la maison de campagne de M. Lambert. 

L’île Maurice offre, de la mer, à peu près le même aspect que Bourbon ; seulement les montagnes sont plus hautes et étagées en plusieurs chaînes. La ville ne se présente pas si bien que Saint-Denis ; il lui manque surtout les grands et superbes édifices qui donnent tant de charme à cette dernière. 

Montagne du Corps de Garde, Île Maurice, 1861. © Le Tour du monde, volume 4, Évremond de Bérard / Wikimedia Commons

 

L’île Maurice, appelée autrefois île de France, est située dans l’hémisphère austral, entre les dix neuvième et vingtième degrés de latitude et cinquante-quatrième et cinquante-cinquième de longitude. Elle a trente-sept milles anglais de longueur et vingt-huit milles de largeur, et compte cent quatre-vingt mille habitants. 
Maurice, comme Bourbon, fait partie de l’Afrique. Elle fut occupée par les Hollandais en 1576, mais elle passe pour avoir été découverte plus tôt par le Portugais Mascarenhas. Les Hollandais lui donnèrent le nom de Maurice, mais l’abandonnèrent de nouveau en 1712. 
Trois mois plus tard, les Français s’en emparèrent et l’appelèrent île de France. En 1810, elle fut prise par les Anglais, qui l’ont gardée de puis et lui ont rendu le nom de Maurice. 

L’île était inhabitée quand on la découvrit. Les blancs y introduisirent des esclaves ; nègres, malabares et malgaches, dont le mélange amena dans la suite des variétés de races de tous genres. Depuis l’abolition de l’esclavage en 1825, on fait venir presque tous les travailleurs de l’Inde. 

 

Voyage à Madagascar, Ida Pfeiffer, 1861. 

 

13 août 2022
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