Quotidienne

En 1934, chronique de « l’ardeur sportive » du Tour de France

Alors que le 109e Tour de France a débuté ce vendredi à Copenhague, le 1 vous propose de relire un texte de l’écrivain Tristan Bernard sur cet évènement sportif qui fédère les Français depuis plus de cent ans. 

En 1934, chronique de « l’ardeur sportive » du Tour de France

Romancier et dramaturge, Tristan Bernard (1866-1947) est recruté par la rédaction du quotidien Le Journal pour commenter chaque jour la 28e édition du Tour de France. Dans cette toute première chronique, le 3 juillet 1934, et alors que les cyclistes s’élancent sur les routes du pays, l’écrivain s’émerveille devant l’adhésion populaire provoquée par ce sport. 

 

Premières impressions de Tristan Bernard, historiographe et speaker de la randonnée : 

Lille, 3 juillet. — De Paris à Lille, nous avons suivi le Tour de France entre une haie de spectateurs presque ininterrompue.

Pendant vingt kilomètres cependant, il n’y avait à peu près personne sur la route. Mais ce n’était pas parce que les populations, dans cette région, s’étaient désintéressées de l’épreuve : c’était plutôt, ainsi que je l’ai confessé publiquement à la radio, parce que je m’étais trompé de chemin. J’avais assisté au départ du Vésinet. Puis nous nous étions mis en route. Les coureurs, à Saint-Germain, étaient encore hors de notre vue. Nous nous sommes élancés, par une fatale aberration, sur la route de Meulan… alors que les concurrents s’en allaient du côté de Pontoise.

« C’était un spectacle d’un ordre, d’une symétrie admirable ! »

Nous avions entre les mains une carte excellente, mais où les noms des localités étaient inscrits en tout petits caractères. D’autre part, beaucoup de ces villes françaises où l’on passe gardent jalousement l’anonymat. Des pancartes où on parle de chocolat, de pneumatiques, d’huile, d’essence, de meubles – tous sujets qui pourraient nous intéresser en une autre occasion. Mais, sur leur identité même, les villes sont d’une discrétion absolue.

Tout de même, une marchande de journaux a vendu la mèche et nous a appris que nous étions à Triel, c’est-à-dire assez loin de la bonne route. Enfin, nous nous sommes mis à la recherche de Pontoise, et nous avons fini par rejoindre cette fugace localité.

« Un propriétaire d’auto avait amené – je ne mens pas – un fauteuil Voltaire qu’il avait placé sur le toit de sa voiture »

Je ne vous parlerai pas aujourd’hui de la course. Nous n’avons eu d’yeux que pour ses innombrables spectateurs. On voyait les villages avant d’apercevoir les maisons. Tous leurs habitants étaient venus au-devant des coureurs. Ils se plaçaient à des postes de choix, dans des virages, au sommet des côtes, avec une ardente curiosité qui n’excluait pas, chez certains d’entre eux, le sens du confort. Ainsi un propriétaire d’auto avait amené – je ne mens pas – un fauteuil Voltaire qu’il avait placé sur le toit de sa voiture.

Tour de France 1936 © Wikimedia Commons

Cette ardeur sportive s’allumera chaque jour par fragments quotidiens tout le long des 4 500 kilomètres des vingt-trois étapes. Dans les centres miniers, à Bruay, à Béthune, cette haie continue de spectateurs s’était singulièrement épaissie. À Lille, le coup d’œil était saisissant, dans toute la traversée de la ville, le long des maisons et sur les parvis des monuments. Et c’était un spectacle d’un ordre, d’une symétrie admirable ! Le nombre, le nombre inconscient lui-même fait un travail grandiose.

Mais ce qui était le plus touchant, c’est que, sur toute la route, à proximité des écoles, les talus se fleurissaient d’une multitude d’enfants, de petits garçons et de petites filles aux yeux ardents.

Quelle drôle d’aventure ! J’étais parti pour ce voyage comme un vieux sportsman, et voilà que, chemin faisant, j’ai tourné au vieux poète.

Excusez-moi. Je vous jure que je ne l’ai pas fait exprès. C’est la faute de cette route, bordée de curiosités humaines, de cette route immense, où constamment il allait se passer quelque chose.

Tristan Bernard

02 juillet 2022
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