Quotidienne

Avec la Comtesse de Ségur, le temps des cabanes est arrivé

Depuis jeudi, ce sont les grandes vacances... pour les enfants. À cette occasion, le 1 vous propose de (re)découvrir cet extrait des Vacances de la Comtesse de Ségur, publié en 1859. Où il est question de promenades, de pêche et de cabanes.

Avec la Comtesse de Ségur, le temps des cabanes est arrivé

Les Vacances, de la Comtesse de Ségur, conclut en 1859 la trilogie commencée avec Les Malheurs de Sophie et Les Petites Filles modèles. Ce roman pour enfants réunit au château de Fleurville Camille, Madeleine, Marguerite, Sophie, Léon, Jean, et le petit Jacques. Leur projet du moment : construire des cabanes. Mais pourquoi le plus petit de tous est aussi celui qui va le plus vite ? Les autres enfants sont décidés à en avoir le cœur net… 

 

« Les cabanes »

Les enfants étaient en vacances, et tous avaient congé ; les papas et les mamans avaient déclaré que, pendant six semaines, chacun ferait ce qu’il voudrait du matin au soir, sauf deux heures réservées au travail. […]

Léon et Jean s’étaient éveillés et levés à six heures ; ils finissaient leur toilette et leur prière lorsque leurs cousines se levaient. 

[…]

Ils coururent à la maison, allèrent frapper à la porte de leurs cousines, qui les attendaient, et qui leur ouvrirent avec empressement. Ils se demandèrent réciproquement des nouvelles de leur nuit, et descendirent pour courir à leur jardin et commencer leur cabane. En approchant, ils furent surpris d’entendre frapper comme si on clouait des planches. 

[…]

Quelle ne fut pas leur surprise en voyant Jacques, le pauvre petit Jacques, armé d’un lourd maillet, et clouant des planches aux piquets qui formaient les quatre coins de sa cabane. Sophie l’aidait en soutenant les planches.

Jacques avait très bien choisi l’emplacement de sa maisonnette ; il l’avait adossée à des noisetiers qui formaient un buisson très épais et qui l’abritaient d’un soleil trop ardent. Mais ce qui causa aux cousins une vive surprise, ce fut la promptitude du travail de Jacques et la force et l’adresse avec lesquelles il avait placé et enfoncé les gros piquets qui devaient recevoir les planches avec lesquelles il formait les murs. La porte et une fenêtre étaient déjà indiquées par des piquets pareils à ceux qui faisaient les coins de la maison.

Ils s’étaient arrêtés tous quatre ; leur étonnement se peignait si bien sur leurs figures que Jacques, Marguerite et Sophie ne purent s’empêcher de sourire, puis d’éclater de rire. Jacques jeta son maillet à terre pour rire plus à son aise.

Enfin Léon s’avança vers lui.

LÉON, avec humeur.

Pourquoi et de quoi ris-tu ?

JACQUES.

Je ris de vous tous et de vos airs étonnés.

JEAN.

Mais, mon petit Jacques, comment as-tu pu faire tout cela, et comment as-tu eu la force de porter ces lourds piquets et ces lourdes planches ?

JACQUES, avec malice.

Marguerite et Sophie m’ont aidé. 

Léon et Jean hochèrent la tête d’un air incrédule ; ils tournèrent autour de la cabane, regardèrent partout d’un air méfiant, pendant que Camille et Madeleine s’extasiaient devant l’habileté de Jacques et admiraient la promptitude avec laquelle il avait travaillé.

[…]

Après le déjeuner, les enfants voulurent mener leurs parents dans leur jardin pour voir l’emplacement et le commencement des maisonnettes, mais les parents déclarèrent tous qu’ils ne les verraient que terminées ; ils firent alors ensemble une petite promenade dans le bois, pendant laquelle Léon arrangea une partie de pêche.

[…]

LÉON.

Voilà près de deux heures que nous pêchons, nous avons plus de vingt poissons ; je pense que c’est assez pour aujourd’hui. Qu’en dites-vous, mes cousines ?

CAMILLE.

Léon a raison ; retournons à nos cabanes, qui ne sont pas trop avancées ; tâchons de rattraper Jacques, qui est le plus petit et qui a bien plus travaillé que nous.

[…]

Ils approchèrent ainsi du petit bois où l’on construisait les cabanes, et ils entendirent distinctement des coups de marteau si forts et si répétés qu’ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques.

« Pour le coup, dit Jean en s’échappant et en entrant dans le fourré, je saurai ce qu’il en est ! »

Portrait de Sophie Rostopchine, Comtesse de Ségur, en 1823, par
Orest Kiprensky © Wikimedia Commons

Sophie et Marguerite s’élancèrent par le chemin qui tournait dans le bois en criant : « Jacques ! Jacques ! garde à toi ! » Léon courut de son côté et arriva le premier à l’emplacement des maisonnettes ; il n’y avait personne, mais par terre étaient deux forts maillets, des clous, des chevilles, des planches, etc.

« Personne, dit Léon ; c’est trop fort ; il faut les poursuivre. À moi, Jean, à moi ! »

Et il se précipita à son tour dans le fourré. Au bout de quelques instants, on entendit des cris partis du bois « Le voilà ! le voilà ! il est pris ! — Non, il s’échappe ! — Attrape-le ! à droite ! à gauche ! » 

Sophie, Marguerite, Camille, Madeleine, écoutaient avec anxiété, tout en riant encore. Elles virent Jean sortir du bois, échevelé, les habits en désordre. Au même instant, Léon en sortit dans le même état, demandant à Jean avec empressement :

« L’as-tu vu ? Où est-il ? Comment l’as-tu laissé aller ?

— Je l’ai entendu courir dans le bois, répondit Jean, mais de même que toi je n’ai pu le saisir ni même l’apercevoir. »

Pendant qu’il parlait, Jacques, rouge, essoufflé, sortit aussi du bois et leur demanda d’un air malin ce qu’il y avait, pourquoi ils avaient crié et qui ils avaient poursuivi dans le bois. 

LÉON, avec humeur.

Fais donc l’innocent, rusé que tu es. Tu sais mieux que nous qui nous avons poursuivi et par quel côté il s’est échappé.

JEAN.

J’ai bien manqué de le prendre tout de même ; sans Jacques qui est venu me couper le chemin dans un fourré, je l’aurais empoigné.

LÉON.

Et tu lui aurais donné une bonne leçon, j’espère.

JEAN.

Je l’aurais regardé, reconnu, et je vous l’aurais amené pour le faire travailler à notre cabane. Allons, mon petit Jacques, dis-nous qui t’a aidé à bâtir si bien et si vite ta cabane. Nous ferons semblant de ne pas le savoir, je te le promets.

JACQUES.

Pourquoi feriez-vous semblant ?

JEAN.

Pour qu’on ne te reproche pas d’être indiscret.

JACQUES.

Ha ! ha ! vous croyez donc que quelqu’un a eu la bonté de m’aider, que ce quelqu’un serait fâché si je vous disais son nom, et tu veux, toi, Jean, que je sois lâche et ingrat, en faisant de la peine à celui qui a bien voulu se fatiguer à m’aider ?

LÉON.

Ta, ta, ta, voyez donc ce beau parleur de sept ans ! Nous allons bien te forcer à parler, tu vas voir.

[…]

Camille, craignant que la dispute ne devint sérieuse, prit la main de Léon et lui dit affectueusement :

« Léon, nous perdons notre temps, et toi, qui es le plus sage et le plus intelligent de nous tous, dirige-nous pour notre pauvre cabane si en retard, et distribue à chacun de nous l’ouvrage qu’il doit faire.

— Je me mets sous tes ordres, s’écria Jacques qui regrettait sa vivacité. »

Léon, que la petite flatterie de Camille avait désarmé, se sentit tout à fait radouci par la déférence de Jacques, et, oubliant la parole trop vive que celui-ci venait de prononcer, il courut aux outils, donna à chacun sa tâche, et tous se mirent à l’ouvrage avec ardeur. Pendant deux heures, ils travaillèrent avec une activité digne d’un meilleur sort ; mais leurs pièces de bois ne tenaient pas bien, les planches se détachaient, les clous se tordaient. Ils recommençaient avec patience et courage le travail mal fait, mais ils avançaient peu. Le petit Jacques semblait vouloir racheter ses paroles par un zèle au-dessus de son âge. Il donna plusieurs excellents conseils qui furent suivis avec succès. Enfin, fatigués et suants, ils laissèrent leur maison jusqu’au lendemain, après avoir jeté un regard d’envie sur celle de Jacques déjà presque achevée. Jacques, qui avait semblé mal à l’aise depuis la querelle, les quitta pour rentrer, disait-il, et il alla droit chez son père qui le reçut en riant. 

[…]

Le lendemain, quand les enfants, accompagnés cette fois de Sophie et de Marguerite, allèrent à leur jardin pour continuer leurs cabanes, quelle ne fut pas leur surprise de les voir toutes deux entièrement finies, et même ornées de portes et de fenêtres ! Ils s’arrêtèrent tout stupéfaits. Sophie, Jacques et Marguerite les regardaient en riant. 

« Comment cela s’est-il fait ? dit enfin Léon. Par quel miracle notre maison se trouve-t-elle achevée ?

— Parce qu’il était temps de faire finir une plaisanterie qui aurait pu mal tourner, dit M. de Traypi sortant de dedans le bois. Jacques m’a raconté ce qui s’était passé hier, et m’a demandé de vous venir en aide comme je l’avais fait pour lui dès le commencement. D’ailleurs, ajouta-t-il en riant, j’ai eu peur d’une seconde poursuite comme celle d’hier. J’ai eu toutes les angoisses d’un coupable. Deux fois j’ai été à deux pas de mes poursuivants. Toi, Jean, tu me prenais, sans la présence de Jacques, et toi, Léon, tu m’as effleuré en passant près d’un buisson où je m’étais blotti.

JEAN.

Comment ! C’est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir ? Vous pouvez vous vanter d’avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien. 

M. DE TRAYPI, riant.

Ah ! c’est qu’au temps de ma jeunesse, je passais pour le meilleur, le plus solide coureur de tout le collège. Il m’en reste quelque chose. 

Les enfants remercièrent leur oncle d’avoir fait terminer leurs maisons. […] Il s’agissait maintenant de meubler les maisons ; chacun des enfants demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés. Tout ce qu’ils pouvaient attraper était porté dans les maisons. […]

Chaque jour ajoutait quelque chose à l’agrément des cabanes ; M. de Rugès et M. de Traypi s’amusaient à les embellir au dedans et au dehors. À la fin des vacances, elles étaient devenues de charmantes maisonnettes ; l’intervalle des planches avait été bouché avec de la mousse au dedans comme au dehors ; les fenêtres étaient garnies de rideaux ; les planches qui formaient le toit avaient été recouvertes de mousse, rattachée par des bouts de ficelle pour que le vent ne l’emportât pas. Le terrain avait été recouvert de sable fin ; petit à petit, on y avait transporté les cahiers, les livres, et bien des fois les enfants y prenaient leurs leçons. Leur sagesse était alors exemplaire. Chacun travaillait à son devoir, se gardant bien de troubler son voisin. Quand il fallut se quitter, les cabanes entrèrent pour beaucoup dans les regrets de la séparation. Mais les vacances devaient durer près de deux mois ; on n’était encore qu’au troisième jour et on avait le temps de s’amuser.

 

09 juillet 2022
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