Quotidienne

« Les voyages intergalactiques et interstellaires sont-ils possibles ? »

Roland Lehoucq, astrophysicien

Emma Flacard, journaliste

Tous les jeudis, le 1 sélectionne l’une de vos questions. Cette semaine, nous répondons à Alexis, 29 ans, qui se demande s’il est envisageable, techniquement et humainement, de changer de galaxie ou de voyager d’une étoile à une autre.

« Les voyages intergalactiques et interstellaires sont-ils possibles ? »

Les voyages intergalactiques et interstellaires sont-ils possibles ?

Alexis, 29 ans, Nantes

 

La réponse de Roland Lehoucq, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique de Saclay et président du festival international de science-fiction Les Utopiales :

Le voyage intergalactique, qui suppose de changer de galaxie, n’est tout simplement pas possible, et relève de la science-fiction. Sortir de notre galaxie, la Voie lactée, pour aller dans la galaxie la plus proche de nous, la galaxie d’Andromède, n’est pas possible, car la distance à franchir est encore plus grande que celle qui nous sépare des étoiles.

En revanche, le voyage interstellaire, qui, comme son nom l’indique, représente le fait de voyager d’une étoile à une autre (ou plus précisément une planète en orbite autour d’une étoile), est possible, mais très difficile. Les distances qui séparent les étoiles les unes des autres sont considérables, et pour comparer ces distances, on utilise la lumière comme mesure : c’est la durée que met la lumière pour arriver jusqu’à nous qui sert d’unité de mesure.

« Il faudrait 88 000 ans aux sondes Voyager 1 et 2 pour parvenir jusqu’à Proxima du Centaure »

Pour donner un exemple, il faut une seconde et un quart pour que la lumière de la Lune nous parvienne, 500 secondes pour que nous parvienne celle du Soleil, et 4,4 ans pour la lumière de l’étoile la plus proche de nous, Proxima du Centaure. En comparaison, la lumière qui nous vient de la galaxie d’Andromède, la plus proche de nous, met 2,5 millions d’années pour nous parvenir. La vitesse de la lumière est de 300 000 kilomètres par seconde, et les sondes Voyager 1 et 2 qui ont été envoyées dans l’espace au milieu des années 1970 ont une vitesse actuelle d’environ 15 kilomètres par seconde. Leur vitesse est donc 20 000 fois plus faible que celle de la lumière, alors si ces sondes visaient Proxima du Centaure – ce qui n’est pas le cas – il leur faudrait 88 000 ans pour y parvenir. Ces chiffres donnent une idée de l’ambition du voyage interstellaire ! Pour le faire, il faudrait y aller beaucoup plus vite que ce que l’on fait actuellement.

« Réaliser un tel voyage interstellaire reviendrait à utiliser la totalité du budget énergétique de la planète en une année »

Le point important dont il faut tenir compte, en dehors de la technique, c’est l’énergie. Pour qu’un vaisseau aille plus vite, il faut lui communiquer une quantité d’énergie beaucoup plus grande. Mais d’où vient cette énergie ? Si l’on imagine faire un voyage interstellaire vers l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure, à 10 % de la vitesse de la lumière – ce qui est déjà considérable au regard de ce que l’on sait faire –, le vaisseau ira en moyenne à 30 000 kilomètres par seconde, avec 1000 tonnes de charge utile (instruments, sondes, moyens de communication, source d’énergie, etc.) (1) mais sans humains, ce voyage pourrait se faire en une cinquantaine d’années, sans compter le retour. Et pour faire un tel voyage, il faudrait communiquer une quantité d’énergie à ce vaisseau qui serait équivalente à celle que consomme l’humanité en une année entière. Autrement dit, on transférerait toute l’énergie utilisée pour les voitures, les téléphones portables, les avions, etc. dans la propulsion du vaisseau (sans parler de sa construction…). Réaliser un tel voyage interstellaire reviendrait à utiliser la totalité du budget énergétique de la planète en une année.

« Le vrai problème réside dans l’énergie dont l’humanité dispose »

Je me suis amusé à chiffrer ce que l’on voit dans le film Avatar, dans lequel un vaisseau, qui transporte de nombreux êtres humains, se dirige vers Proxima du Centaure, et tel que cela est décrit dans le film – ils mettent un peu moins de six ans à faire le voyage –, ce vaisseau, qu’il ne nous serait pas impossible de pouvoir construire, consomme 150 000 années de production énergétique humaine actuelle, juste pour faire le voyage. C’est un peu comme si l’on voyait une maison à 10 millions d’euros que l’on voulait acheter, mais que l’on n’avait pas l’argent pour le faire. Le voyage interstellaire, on peut y penser, on peut considérer les détails pratiques, la motorisation du vaisseau, son organisation interne, etc., mais le vrai problème réside dans l’énergie dont l’humanité dispose.

Cette énergie est considérable, c’est d’ailleurs pour cela que notre empreinte environnementale à l’échelle de la planète perturbe le climat et l’environnement, mais en même temps ridicule au regard de la quantité nécessaire pour effectuer un « modeste » voyage interstellaire. D’autant plus que les 80 % de l’énergie humaine proviennent des énergies fossiles, qui ont vocation à s’épuiser ou à être remplacées par d’autres types d’énergie pour garder une planète habitable. Dans un tel contexte, on comprend bien qu’un voyage interstellaire est en contradiction avec l’objectif affiché (et nécessaire) de remplacer l’énergie fossile dont nous disposons par des sources d’énergie renouvelable comme l’énergie solaire, éolienne…

« Lorsque l’on s’interroge sur le voyage interstellaire, on en revient aux problématiques terrestres »

En imaginant voyager plus lentement, et donc consommer moins d’énergie en la diluant dans le temps, ce qui a été imaginé dans la science-fiction, avec des vaisseaux « générations », dans lesquels des générations d’êtres humains se reproduisent pendant des centaines d’années avant d’arriver sur l’étoile visée, il faudrait penser des vaisseaux totalement autonomes, ce qui est un autre problème. Cela nécessiterait d’avoir toutes les pièces de rechange, que le vaisseau soit en autonomie pendant trois cents ans, et que les êtres humains à bord du vaisseau ne s’entre-tuent pas. C’est aussi difficile à résoudre ! Et, en réalité, une fois que l’on a mis ce vaisseau « générations » sous la loupe du raisonnement, dans une expérience de pensée, on réalise que c’est un peu notre Terre : des êtres humains qui coexistent et se reproduisent, le recyclage naturel, l’accumulation des déchets, notamment le CO2…  

Finalement, lorsque l’on s’interroge sur le voyage interstellaire, qui est une question passionnante, on en revient, après un détour par l’imaginaire, aux problématiques terrestres et on se questionne sur le futur énergétique de l’humanité sur Terre. Si l’on veut continuer à vivre dans un monde habitable, il faudra consommer beaucoup moins d’énergie.

 

Conversation avec EMMA FLACARD

Illustration JOCHEN GERNER


(1) En comparaison, Saturn V, le vaisseau qui a déposé les astronautes américains sur la Lune faisait 3 000 tonnes au décollage.

21 juillet 2022
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