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Comment le racisme a-t-il influencé les musiques hip-hop en France ?

Tous les dimanches, le 1 vous propose les bonnes feuilles d’essais récents ou à paraitre. À deux jours de la Fête de la musique, intéressons-nous au phénomène des musiques urbaines et aux logiques qui les traversent, avec les sociologues Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian.

Comment le racisme a-t-il influencé les musiques hip-hop en France ?

En quatre décennies, elles sont passées du statut de pratiques artistiques confidentielles à celui de courant esthétique majeur : les musiques hip-hop ont chamboulé durablement le paysage musical, en France et dans le monde. 

40 ans de musiques hip-hop en France (Presses de Science Po, à paraître le 20 juin), sous la direction des sociologues Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian, dresse une synthèse des connaissances sur ce phénomène. Dans l'introduction, les auteurs reviennent sur les « multiples processus de racialisation des musiques hip-hop en France ». Où il apparait que les logiques liées au racisme ont fortement influencé la trajectoire de ces musiques, entre « fierté noire » et crainte d'une « guerre raciale ». Extrait. 

 

 

En tant que genres inscrits dans le sillage des musiques africaines-américaines, les musiques hip-hop héritent de représentations et d’une organisation de l’industrie musicale états-uniennes marquées par l’opposition entre musiques « noires » et musiques « blanches ». Si ce clivage raciste né dans l’industrie du disque dans les années 1920 s’est affaibli après le mouvement des droits civiques des années 1960, il reste prégnant dans les années 1980 et se traduit par un regain de débats autour de la séparation de la programmation radiophonique selon qu’elle s’adresse à des auditeurs pensés comme « blancs » ou « noirs (1) », mais aussi par la stabilisation d’un discours sur l’authenticité du rap états-unien, qui le lie étroitement à la communauté africaine-américaine et à la « blackness (2) ».

Ces représentations ne sont pas sans effet en France dès la fin des années 1980 : elles soutiennent ou au contraire compromettent des paris commerciaux (3) ; elles favorisent des investissements symboliques contradictoires d’amateurs victimes de racisme qui voient le rap comme un espace d’affirmation d’une fierté noire (4) ; ou encore, au contraire, elles nourrissent les fantasmes de journalistes et d’acteurs publics qui craignent l’irruption d’une « guerre raciale » sur le sol français (5).

« Les logiques liées au racisme pèsent de façon particulièrement évidente dans la trajectoire des musiques hip-hop en France »

Cependant, c’est aussi l’histoire française des représentations de l’altérité et des logiques racistes qui pèse directement sur le destin des musiques hip-hop en France hexagonale. L’ensemble des recherches sur le racisme démontre que le processus d’« essentialisation de groupes entiers […] par attributions de traits indissolublement somatiques et mentaux héréditaires (6) » pèse dans la plupart des dimensions de la vie sociale (politiques migratoires, logement, travail, débat public, etc.). C’est par exemple le cas des pratiques de loisir, comme le révèlent les enquêtes sur la fréquence de l’exclusion des clientèles non blanches de nombreuses boîtes de nuit dans les années 1980 (7). Dans le domaine des industries culturelles, il se traduit, notamment à partir de l’entre-deux-guerres, par l’émergence et l’exploitation marchande d’un exotisme associé à la « culture nègre », articulant des représentations états-uniennes, des représentations françaises des États-Unis et un imaginaire colonial qui se popularise alors en France hexagonale (8). Les reconfigurations nombreuses et profondes de cet exotisme lié à un imaginaire de la « race » dans les années qui ont suivi le mouvement de décolonisation des années 1960 ne l’ont cependant pas aboli.

Ainsi, les logiques liées au racisme pèsent de façon particulièrement évidente dans la trajectoire des musiques hip-hop en France. Cela ne signifie pas qu’elles sont toujours prédominantes, encore moins qu’elles sont les seules dont il faille tenir compte. Inversement, il est des domaines où le racisme ne pèse pas de façon évidente, mais où il constitue pourtant un rapport social structurant – parmi d’autres. Le développement du rock, dans l’Hexagone, est lui aussi tributaire de cette partition entre musique « noire » et musique « blanche », ce que des recherches sur les stéréotypes racistes dans la presse musicale ont démontré (9).

« Le racisme est une conduite de mise à part mobilisant l’imaginaire de différences essentialisées par référence à une origine supposée »

L’insistance sur cette question dans cett

19 juin 2022
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