Quotidienne

Féminismes et sexualité : la libération en question

Cornelia Möser, Chercheuse

Tous les dimanches, Le 1 publie les bonnes feuilles d’un essai récent ou à paraître. Aujourd’hui, Libérations sexuelles – Une histoire des pensées féministes sur la sexualité par la chercheuse Cornelia Möser, aux éditions La Découverte.

Féminismes et sexualité : la libération en question

La sexualité est au cœur de tous les mouvements féministes depuis le début des années 1960. Pourtant, sa place et son rôle font toujours débat : elle est souvent perçue comme un outil de libération, un espace d’épanouissement, mais aussi un obstacle, un lieu de vulnérabilité et d’oppression, ou encore un moyen de détourner les femmes de la lutte pour leur émancipation.

Dans cet ouvrage foisonnant, Cornelia Möser propose une relecture des différents courants féministes en France, en Allemagne et aux États-Unis, et entend faire émerger de nouvelles façons de penser l’émancipation des femmes.

La sexualité, un objet historique et un enjeu politique

Pourquoi donc mener aujourd’hui un travail de recherche sur la sexualité dans la pensée féministe ? L’amour et le sexe libre, la libération sexuelle, ne seraient-ce pas des histoires de hippies, des préoccupations complètement dépassées ?
À nos yeux, l’extraordinaire renouvellement du féminisme, porté notamment par les campagnes de dénonciation des violences sexuelles #MeToo et #BalanceTonPorc, suffirait à justifier un retour sur la manière dont les féministes ont pensé et pensent la sexualité. Mais ce travail, entamé au début des années 2010, a été guidé par une tout autre motivation. La première décennie du XXIe siècle, qui s’est ouverte avec le 11 septembre, a été marquée par la prolifération de discours qui ont pris appui sur le féminisme afin de justifier des politiques impérialistes. Ainsi, en France, en Allemagne comme aux États-Unis – les trois espaces étudiés dans cet ouvrage –, la libération des femmes a servi de prétexte à la fois pour « émanciper de force » les communautés musulmanes vivant dans ces États et les faire sortir de leur « prémodernité sexuelle » supposée et pour mener des guerres contre des pays musulmans. C’est ainsi que l’on a pu entendre un George Bush s’alarmer devant la situation des Afghanes, qu’il se jurait de sauver grâce à l’intervention états-unienne, ou une Marine Le Pen soucieuse du bien-être des femmes, des gays et des lesbiennes dans les banlieues françaises... Ces « féminismes spontanés » ne semblent se faire entendre que lorsqu’ils permettent une critique des musulmans. Mais pourquoi cette focalisation sur la sexualité et sa supposée répression ? En quoi les pays et communautés musulmanes devraient-elles prouver leur modernité spécifiquement dans le domaine de la sexualité ? Constater cette transformation de la sexualité en instrument des relations internationales nous a interrogée. Qu’est-ce qui rend la sexualité si significative ?

Pourquoi la sexualité témoignerait-elle de la modernité d’un groupe social ou d’une culture ?

Les références à la « libération sexuelle » ou aux « progrès en matière de sexualité » ne sont bien sûr pas l’apanage des politiques de droite. Ces termes sont fréquents notamment dans les milieux féministes et queers, militants comme universitaires, et le « progrès sexuel » semble faire partie intégrante de ces mouvements qui placent souvent dans la sexualité leurs espoirs d’émancipation et de libération. Depuis les années 1960, la pensée et la recherche féministe et queer ont été particulièrement prolifiques et ont révolutionné les manières de penser la sexualité. Il est donc essentiel de comprendre les fondements et la structuration de cette pensée et de se plonger dans les classiques des bibliothèques féministes et queers pour pouvoir répondre à la question initiale : pourquoi la sexualité témoignerait-elle de la modernité d’un groupe social ou d’une culture ?

Ni les travaux féministes ni les travaux LGBTQ ne se sont jamais entendus sur une définition unique et stable de la sexualité

Ce livre parlera d’amour, de sexe, de violence et des multiples manières d’être au monde, de se construire et de construire du sens pour son existence. Il poursuit une réflexion sur ce qu’est la sexualité tout en interrogeant les limites d’une telle question. Il prend la pensée féministe et queer comme objet et s’y inscrit lui-même en poursuivant la « critique des catégories de la pensée », enjeu central de ce champ scientifique, ainsi que le rappelle Dominique Fougeyrollas-Schwebel : « Le féminisme est avant tout une production idéologique très diversifiée et c’est incontestablement dans la critique des catégories de la pensé

12 juin 2022
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