Quotidienne

« Travestir les faits est la marque de fabrique du populiste »

Alain Trannoy, économiste

Les chiffres alimentent la vie politique. De là à leur faire dire ce qu’on veut, il n’y a qu’un pas, comme le montre l'essai Des économistes répondent aux populistes, à paraître le 13 avril, dont nous publions les bonnes feuilles.

« Travestir les faits est la marque de fabrique du populiste »

Du protectionnisme aux migrations, les chiffres peuvent facilement être tournés de manière à alimenter des discours de mauvaise foi. Dans Des économistes répondent aux populistes, à paraître le 13 avril chez Odile Jacob, dix-sept spécialistes tordent le cou aux montages idéologiques trop simplistes pour être réels. À garder en tête au moment des débats qui agiteront l'entre-deux tours de la campagne présidentielle... 

Dans ce chapitre, Alain Trannoy, directeur d’études à l’EHESS, analyse le rapport aux chiffres des populistes. 

 

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies se succédant sans interruption dans une famille ne la fera pas douter de la bonté de son dieu ou du talent de son médecin. »

Marcel Proust

 

Ce que disent les populistes

Il y a quelque facilité en tant que scientifique à prendre de haut la pratique des politiques dans leur rapport aux faits. Par « faits », il faut entendre des éléments qualitatifs ou quantitatifs vérifiables, attestés. Les statistiques, les chiffres, en font partie et la quantification, les classements, la hiérarchie, les bilans, les tableaux de bord, après s’être victorieusement introduits dans la vie professionnelle, sont partis à l’assaut de la vie politique, des rapports, des présentations PowerPoint, des débats télévisés où l’on se jette des chiffres à la figure.

On pourrait reprocher à ce questionnement de la pratique politique de manquer de pertinence, car le métier d’un homme politique n’est pas de démontrer mais de convaincre. Il y passe le plus clair de sa vie : convaincre les électeurs de le choisir, convaincre le grand public ou ses partisans du bien-fondé d’une politique, convaincre ses rivaux qu’il n’est pas encore temps de lui contester son leadership. Une démonstration scientifique est plus que convaincante, elle est probante en faisant le tour du sujet pour bien prouver que l’on ne peut pas infirmer le contraire de l’affirmation que l’on cherche à démontrer. Le rapport à la vérité des hommes politiques ne peut pas être de même nature que celui des scientifiques : il s’apparente à celui des avocats. Ils s’abstiennent en général de citer des témoins ou des faits qui peuvent faire naître un doute quant à la crédibilité de leur thèse. D’où l’angle d’attaque des populistes qui commencent immanquablement par dénoncer les mensonges

10 avril 2022
Retour

Nous vous proposons une alternative à l'acceptation des cookies (à l'exception de ceux indispensables au fonctionnement du site) afin de soutenir notre rédaction indépendante dans sa mission de vous informer chaque semaine.

Se connecter S’abonner Accepter et continuer