Restitution : pour ou contre ?

Ai-je bien noté la précision de votre première question : quels ont été vos premiers rapports avec les arts anciens d’Afrique ? Je suis allé sur la tombe de ma mère pour en savoir plus et sa réponse m’a posé d’autres questions : « Mon fils, c’est quoi l’art ? C’est quoi “arts anciens d’Afrique” ? » Ne sachant quoi lui dire, je me suis empressé de me compliquer la vie à chercher et à expliquer mon tout sur tout ce que c’était, « l’Afrique » – ou « Afrique » ? ou « arts anciens » ou « arts anciens d’Afrique » ? ou… « anciens des Afriques » ? –, d’où émergea un autre embouteillage d’interrogations. Mille et une nuits de fouilles plus tard au crible des définitions sur l’art, l’Afrique et ses déclinaisons multiples, je décidai finalement de me cacher dans mon confort de raseur de murs hypocrite, faux-cul qui sera finalement réveillé et aveuglé par l’explosion subite de la solide case des convictions à l’orée du jour, assis seul interrogatif sur le parvis du village face à ce bordel, essayant de sortir du labyrinthe des « arts premiers », « arts nègres », « arts anciens d’Afrique », « arts classiques », « art authentique », « art véritable »… « art originel » dans un océan de bavardages où personne n’écoutait plus personne dans le chaos. Faire profil bas face à toutes ces étiquettes est donc devenu une posture, une quête où mon esthétique se façonna progressivement par l’admiration que je porte avec amour aux vestiges du passé, par sa contemplation que je manipule avec une certaine perversion afin que mon adoration ne soit pas dogmatique.

[…] Je ne suis pas collectionneur de l’impossible, de ce que je ne peux pas saisir. Comment oserais-je ranger des esprits ou des cultes qui dépassent mon entendement ? J’aime le risque, mais celui-là est d’un ordre supérieur à ma force et m’attaquer à elle ne peut se faire que par ce que j’appelle « vaudouisation », « ritualisation » ou « fétichisation », car mon geste est une machination de prolongement qui tire sa force du passé et non du mimétisme, car reculer c’est sauter plus haut.

Je refuse le parasitage du passé des formes, et me servir de la matière en laboratoire c’est enquêter au cœur des formes par le fond, donner du grain à moudre aux machines de mon temps, porter mon kilomètre de tuyauterie à la fontaine des eaux afin de participer à l’arrosage des jardins de demain. Les lieux de monstration ou de démonstration sont des vitrines de conservation que je parcours avec curiosité. Ce sont des laboratoires, des tables-socles où travaillent les tubes à essai qui fonctionnent comme des ateliers publics. J’y vais pour vivre, j’y rentre comme au parlement pour proposer mes lois. J’ai longtemps compris que nous étions tous héritiers d’une histoire commune. Le doute de douter de tout m’aide à chercher au quotidien la solution au pied du problème, tout comme les fleurs qui s’épanouissent au milieu des ronces du pré. Nous sommes le portrait des rayons du soleil qui illuminent l’humanité entière.

Et même si les questions d’origine conforme, de liens de sang, de nationalité, d’appartenance, d’identité ou d’autochtonie sont des serpents de mer, rien ne nous empêche de défendre nos passés pour protéger les générations à venir. Ma position au sujet de la restitution du patrimoine africain au pays d’origine implique la réponse sur les questions de l’effacement des frontières entre peuples, c’est-à-dire que l’objet placé ici ou ailleurs doit rester au centre d’un héritage commun universel et que sans aucun procès, tout objet volé ou dérobé et ensuite retrouvé doit être restitué et replacé sur le territoire légal de son légitime propriétaire avec en prime lors du retour dudit bien les conditions normales de jouissance et de gestion adaptées. 

 

Ces quatre extraits sont repris du catalogue de l’exposition, dirigé par Philippe Dagen, Ex Africa © Éditions Gallimard, 2021

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