J’ai découvert les arts premiers au musée de l’Homme. Très jeune, je m’y rendais quand je venais à Paris. Je me souviens d’un lieu alors très hétéroclite, que j’aimais beaucoup. La lecture de Lévi-Strauss aussi a été importante, et les films de Jean Rouch. En 1998, j’ai exposé dans l’ancien Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie. Cela s’intitulait : « Ce n’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. » On avait mis ce lieu formidable à ma disposition, je l’ai donc entièrement investi : j’ai mis un peu partout des petits animaux naturalisés avec des sculptures africaines, il y avait un aquarium avec des crocodiles… On avait même ouvert les réserves, cachées au public depuis les années 1950, avec leurs grandes vitrines un peu démodées et très colonialistes. J’ai installé là, face à face, deux populations, « 2 clans-2 familles » : au bout de grands bâtons, des photos de visages adultes, les uns capuchonnés de peluche, les autres couverts de sacs plastiques, et entre eux, des enfants mêlés… Les riches et les pauvres, si l’on veut.

Pour cette nouvelle exposition, le quai Branly a retenu trois de mes œuvres marquées par les arts premiers. La plus ancienne, Portraits cubistes, date de 1979-1980 – des visages réalisés à partir de photographies en noir et blanc peintes en couleurs vives, en référence à Picasso, influencé alors par les arts premiers. Puis une pièce de 2015, Mes collants totémiques – des collants que j’ai allongés, pliés, et qui deviennent des personnages ayant pour moi valeur de totem. J’ai souvent travaillé avec des tissus car c’est un matériau du quotidien : de la naissance à la mort, nous en sommes revêtus.

Mais la pièce la plus récente, Attye avec Barbie, a été directement suscitée par les œuvres africaines que j’ai observées au quai Branly. Il s’agit d’un assemblage de deux sculptures. Attye est inspirée d’une statuette féminine de Côte d’Ivoire : seins pointus, fesses proéminentes, c’est presque un cliché pour nous de l’art africain. Je l’ai associée à Barbie, autre cliché de notre civilisation. Je déteste les Barbies, ces poupées sexuées qui disent aux petites filles d’être minces, d’avoir des seins… Je les utilise en les cassant, en les déformant… J’ai assis Barbie sur le ventre d’Attye, à qui elle touche les seins. Ces deux figures forment un dialogue impossible entre deux représentations féminines, deux clichés de cultures différentes. Est-ce un dialogue impossible, d’ailleurs ? Mais Attye est quand même la plus forte, elle domine…

Les sculptures africaines ont souvent une fonction rituelle. Je ne suis pas du tout religieuse, mais j’ai une croyance en l’art : l’art ne sert à rien, c’est pour cela qu’il est très important. À la différence des animaux, nous nous savons de passage : il y avait des humains avant nous, et cela continuera après nous. Un artiste part toujours de rituels : ils rassurent, on trouve un sens, on répète… Chaque nouvelle série est aussi pour moi un rituel. Et comme pour les objets rituels africains, il y a toujours une sorte de demande.

Je n’ai pas étudié la signification des sculptures qui m’ont inspirée. Vouloir parfaitement comprendre ce que d’autres ont cherché à faire à travers leurs œuvres est impossible. Mais, vous savez, les artistes sont des voyeurs, des voleurs, ils piquent à droite, à gauche, et tout cela s’amalgame ensuite en eux. Les idées, les formes viennent de partout, de n’importe où. Ils les prennent dans une boîte de striptease, dans la rue, au cinéma, au musée, peu importe, ils ont le droit de tout s’approprier. 

 

Conversation avec M.C.

 

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