Restitution : pour ou contre ?
Des musées au Gabon : cela risque de détourner les consciences, de formater les esprits et d’éloigner les populations de leurs intérêts fondamentaux. L’idée de faire circuler des œuvres depuis l’Europe vers l’Afrique sous prétexte que les musées africains ne peuvent pas recevoir leurs objets spoliés annonce l’éternel retour d’une colonisation des imaginaires et de la terre. Le musée est également un non-sens, car totalement opposé à la vision de production mystique : le public n’y incarne pas les objets exposés ; cela revient à dire qu’ils sont inefficaces et que rien, substantiellement, n’est transmis. Construction occidentale, le musée ne correspond en rien à la façon dont nous vivons notre relation à l’objet comme véhicule, au Gabon. Dans les villages, les pratiques et les croyances sont extrêmement vivantes. La forêt primaire généreuse les nourrit dans une interaction continuelle : les gens consomment du serpent, du pangolin, du singe, du sanglier, des antilopes, des tarots…
J’ai visité le nouveau Musée national de Libreville et j’ai compris que le musée appauvrit le regard que l’on peut porter sur une culture orale puissante et vivante et qu’il ne peut pas véhiculer une transmission à la hauteur d’une culture multilingue, multiethnique. Laissés, les objets faiblement présentés résonnent peu. On doit repenser localement ce qu’est un « silo » de connaissance et de conscience, décloisonner les savoirs et accepter de ne pas savoir – ces pratiques sont un secret, dans chaque village, bien gardé – pour développer notre relation à l’environnement, comprendre les besoins, les nécessités, notre rapport à la nature et à la culture in situ. La présence permanente de l’objet me semble délicate car le récit ne se limite pas aux mots et doit être échanges dynamiques : écrire de nouvelles histoires, transmettre et partager les savoirs, établir un fonds commun « scientifique », inviter les « praticiens »…
On doit apprendre de l’erreur. Cette erreur qui consiste, par des ingénieries, à faire de nous des consommateurs autistes, incultes et insensibles.