– Allo Barack ?
– Vladimir ! Si je m’attendais à ça !
– Je sais. La vie est pleine de surprises.
– Tu tombes bien, on était en train de parler de toi.
On ? En bien, j’espère !
– On parlait de la Crimée, tu t’en doutes.
– Eh oui, vous parlez, vous doutez. Moi j’agis. C’est pour ça que je t’appelle en premier.
– Justement, on trouve que tu vas un peu vite en besogne.
– Je fais gagner du temps à tout le monde. Du temps, de l’argent, des vies...
– Le droit du plus fort quand même.
– Non. Le droit du plus rapide. Et puis ce n’est que justice. La Crimée a toujours été russe. J’ai réparé une erreur historique. Sans une goutte de sang. C’est bien que tout le monde était d’accord.
– C’est plutôt que personne n’a envie de mourir pour l’Ukraine.
– Même les Ukrainiens, tu vois ! Alors que moi je suis prêt à faire mourir autant de Russes qu’il faudra.
– Erreur historique, c’est vite dit !
– Oui, et vite réparé. Tout est question de vitesse. Si tu es le premier à coller les bons mots sur un événement, tu lui donnes sa forme définitive. Comme Bush chez vous, avec Fox qui avait annoncé sa victoire avant la fin du dépouillement. Ceux qui réclamaient leur bon droit avaient l’air tellement... minables !
– Mais les frontières !
– Quoi les frontières ? À Yalta, on a partagé le monde sur un coin de table, vous ne faisiez pas la fine gueule.
– C’était la guerre.
– C’est toujours la guerre. Dehors, dedans. Et tes pires ennemis, ce sont les républicains, pas les Irakiens ou les Arabes. Moi, les milliardaires, je les fous en taule. Regarde, Khodorkovski... En taule il était content, il avait le droit d’écrire. Il se prenait pour Soljenitsyne, ce con. Et plus il publiait, moins il était crédible. Libre en taule ! Tellement inoffensif, j’ai fini par le laisser sortir.
– Les Femen, quand même !
– Elles en ont, mais ça reste des gonzesses. La vérité c’est que j’ai une paire de couilles grandes comme la Crimée.
– Qu’est-ce qui me dit qu’elles ne sont pas grandes comme l’Ukraine ?
– Rien, c’est vrai. Tu as raison d’être inquiet. C’est la différence entre nous. Moi je fais peur, et pas toi. C’est la vie, c’est comme ça. C’est injuste.
– Mais enfin, tu n’as pas le droit !
– Le droit c’est pour les tarlouzes. Un homme fait ce qu’il a à faire, comme vous dites en Amérique.
– Les dernières élections, tu as un peu exagéré, non ?
– Juste un peu. Aide-toi, le ciel t’aidera. Je suis un self-made-man. Toi et moi, on est pareils. À une exception près. Tu es obligé de faire comme si tu avais des scrupules. C’est ça, la démocratie. L’apparence du scrupule. Tu sais ce que disait Hegel : « Quand les hussards chargent, sabre au clair, alors les bavardages cessent. »
– Tu lis Hegel ?
– C’est mon repos du guerrier. Quand tu travailles vite et bien, ça te laisse du temps pour les loisirs. Vous appelez ça quality time, je crois. Là je lis dans ma datcha, tranquille au bord de la mer Noire. L’Enracinement de Simone Weil. Écoute ça : « Actuellement, dans tous les pays, dans toutes les causes, il y a un homme vers qui vont les fidélités à titre personnel. La nécessité d’embrasser le froid métallique de l’État a rendu les gens, par contraste, affamés d’aimer quelque chose qui soit fait de chair et de sang. Ce phénomène n’est pas près de prendre fin, et, si désastreuses qu’en aient été jusqu’ici les conséquences, il peut nous réserver encore des surprises très pénibles ; car l’art, bien connu à Hollywood, de fabriquer des vedettes avec n’importe quel matériel humain permet à n’importe qui de s’offrir à l’adoration des masses. » Hollywood, elle parle de toi.
N’importe quel matériel humain, elle parle de toi.
– Elle a écrit ça en 1943. Moi depuis j’ai inventé autre chose. Je suis à la fois de chair et de sang et le froid métallique de l’État. La synthèse : Iron Man !
– Iron Man, c’est à nous, ça !
– Vous en rêvez. Moi je le fais. Tu ne peux pas m’en vouloir d’incarner le rêve américain.
– Mais le droit international...
– C’est le nom que prend la lave quand elle se refroidit. Tu es si... rationnel. Vous avez envoyé un homme sur la Lune, un singe à la Maison-Blanche. Maintenant c’est fini. Vous n’avez plus de rêve.
– Tu m’appelles pour m’insulter ?
– Je dis les choses comme elles sont.
– Le droit, c’est un rêve américain !
– Le droit, ça se discute. Un rêve, ça ne se discute pas. La Grande Russie, mon petit vieux... Si tu veux te faire enlever tes scrupules, je connais un très bon chirurgien. Un coup de scalpel, un peu de vodka, tu ne sentiras rien. Je te garantis qu’ils ne repousseront pas. Je suis sûr que tu crèves d’envie d’avoir ma liberté de parole.
– Quand tu dis que tu iras buter les terroristes jusque dans les chiottes, par exemple ?
– Pourquoi ? Tu l’as buté où, Ben Laden ?
– Ben... Dans le couloir...
– Tu as raison, ça change tout.
– La question, ce n’est pas ce qu’on fait, c’est ce qu’on dit.
– On est d’accord. C’est pour ça que je t’appelle. Maintenant que c’est fait, laissons nos diplomates dire.  

@opourriol

 

 

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