Jusqu’en 2000, en France métropolitaine, les prix de l’immobilier ont évolué à peu près au même rythme que le revenu disponible des ménages. Depuis lors, les prix immobiliers ont doublé alors que le pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages n’a progressé que de 40 %. Si ces évolutions ont eu pour conséquences d’accroître considérablement le poids de la dépense en logement des ménages et d’exclure beaucoup de ménages des territoires les plus attractifs, elles ont également bénéficié à nombre d’acteurs. 

Les premiers d’entre eux semblent être les propriétaires en place. Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser l’évolution du patrimoine immobilier des ménages. En 2000, la France comptait 14 millions de propriétaires dont le patrimoine immobilier moyen s’élevait à 125 000 euros. En 2018, le nombre de propriétaires dépassait les 17 millions et leur patrimoine immobilier moyen s’élevait à 220 000 euros… Autrement dit, en dix-huit ans, le patrimoine immobilier des ménages propriétaires a crû de plus de 90 %, soit trois fois plus que les prix à la consommation. 

Bien évidemment, cet accroissement considérable ne s’est pas produit de façon uniforme sur l’ensemble du territoire nationale. Entre 2000 et 2018, les prix des appartements ont été multipliés par plus de trois à Paris et dans l’agglomération lyonnaise et par deux dans l’agglomération marseillaise ou la petite couronne parisienne. A contrario, depuis la crise économique, certains territoires ont connu des baisses des prix immobiliers, signe d’une moindre attractivité des communes concernées. Cette attractivité, au sens le plus large du terme (emploi, commerce, culture, éducation…), est l’un des facteurs explicatifs de ces divergences. La population, et avec elle la demande de logement, a tendance à se localiser là où l’attractivité est la plus importante. Si ces territoires ne peuvent pas augmenter l’offre de logement à la hauteur de la hausse de la demande, un déséquilibre se crée, qui a classiquement pour conséquence un accroissement des prix immobiliers. Il est souvent complexe de libérer massivement et rapidement le foncier nécessaire à la production de logement, notamment lorsque ce dernier est privé. Néanmoins, si l’objectif de développer l’activité économique peut se comprendre, les choix d’aménagement du territoire qui mettent l’accent sur l’hypermétropolisation ont des conséquences importantes qui renforcent à la fois la pénurie de foncier et l’attractivité du territoire, ce qui in fine entretient la hausse des prix. Dans l’agglomération parisienne, le choix d’implantation des gares du Grand Paris Express, largement déconnecté des souhaits potentiels des habitants, a par exemple un fort impact sur la dynamique des prix immobiliers en petite et grande couronne. À Bordeaux, l’arrivée de la ligne à grande vitesse (LGV) a entraîné une hausse des prix jamais vue. Or les Bordelais n’ont financé qu’à la marge cette opération dont les propriétaires profitent aujourd’hui pleinement avec l’explosion du marché immobilier. De fait, l’évolution des prix immobiliers dans certaines zones dites tendues se traduit pour certains par un enrichissement « sans cause ».

Ce renchérissement a certes profité à de nombreux ménages, mais il a aussi eu pour conséquence d’abonder les finances de certaines collectivités locales ainsi que celles de l’État. En 2017, la fiscalité sur le logement a rapporté à l’État et aux collectivités locales près de 75 milliards d’euros soit 5,7 % de plus qu’en 2016. Les recettes fiscales sur le logement s’étaient déjà accrues de plus de 3,5 % en 2015 et 2016. En effet, une grande partie de ces recettes fiscales sont liées à l’évolution des prix du logement. La TVA (25 milliards d’euros), les impôts sur les revenus immobiliers (7 milliards) ou encore les droits de mutation (11,5 milliards) sont autant de recettes dont les montants s’accroissent à mesure que les prix immobiliers (et les loyers) augmentent. Si l’intéressement des finances publiques à l’évolution des prix peut apparaître comme une bonne nouvelle – il n’y a pas de raison que seuls les propriétaires privés s’enrichissent –, il pose tout de même question. En effet, il semble a priori qu’il n’y ait aucun intérêt pour une collectivité à faire baisser les prix immobiliers sur son territoire. En plus d’envoyer un message négatif quant à l’attractivité de celui-ci, elle s’amputerait de recettes fiscales dans un contexte où les dotations de l’État ne sont clairement pas orientées à la hausse. En plus de la fiscalité locale, le système d’enchères sur le foncier public à l’œuvre dans nombre de collectivités illustre parfaitement l’intérêt de certaines d’entre elles à la hausse des prix. La plupart du temps, lors d’une vente de foncier public à des acteurs de la construction – promoteurs ou bailleurs –, la collectivité livre le terrain au plus offrant, celui-ci arrêtant le prix d’achat en fonction du prix de vente anticipé. Ce système a bien évidemment pour conséquence d’accroître considérablement le prix du foncier – rare, par nature, en zones dites tendues – et in fine le prix de sortie des logements. 

Dans ce contexte, quid des opérateurs de construction de logement ? Bien évidemment, le renchérissement des prix a rendu la production de logements abordables bien plus complexe dans les zones tendues. L’équilibre des opérations de production de logements sociaux, dans un contexte de raréfaction des aides publiques et de renchérissement des prix du foncier, a été largement dégradé. A contrario, les promoteurs privés sont parvenus pour certains à éviter la dégradation de leurs conditions financières. En effet, lors des opérations de production de logements neufs, en individuel comme en collectif, les marges des opérateurs sont le plus souvent quasi proportionnelles aux opérations. Dès lors, même si celles-ci ont pu légèrement se réduire en proportion des opérations – c’est en tout cas ce que les promoteurs déclarent –, l’accroissement considérable des montants d’opérations a eu pour conséquence de maintenir, voire d’augmenter les marges « absolues » dégagées lors de la commercialisation. À titre d’exemple, un taux de marge brut de 8 % sur une opération de construction neuve à 100 000 euros représente un gain de 8 000 euros pour le promoteur. Si le prix de l’opération atteint 150 000 euros et que le promoteur baisse son taux de marge à 6 %, le gain est de 9 000 euros… Cela est d’autant plus vrai que les professionnels du secteur de la construction ont été largement soutenus au cours des dernières années par les mécanismes de défiscalisation induits par des législations comme les lois Scellier et Pinel, ainsi que par le dispositif du prêt à taux zéro aux effets inflationnistes bien documentés. 

En fin de compte, s’il paraît exagéré de mettre sur le même plan les promoteurs, les propriétaires en place et les finances publiques, chacun est à même de « trouver son compte » à l’augmentation des prix immobiliers. Cela explique peut-être pourquoi il ne paraît pas urgent aux pouvoirs publics d’engager des politiques visant à mieux réguler un marché devenu, dans certaines zones, déconnecté des capacités financières de nombre de ménages… 

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