Il faut parfois jeter un œil aux panneaux routiers pour pouvoir les différencier. Aux silhouettes des bâtiments, aux couleurs des drapeaux. Car d’une photo à l’autre, les images qui nous parviennent des manifestations à travers la planète paraissent étrangement similaires. Partout les mêmes postures, les mêmes symboles – que ce soient les moustaches de Dalí, le rictus d’Anonymous ou le maquillage du Joker. Et derrière ces masques, un seul visage, celui de la colère envers des pouvoirs jugés distants, autoritaires, corrompus, incapables d’assurer le bien commun. De Santiago à Bagdad, de Hongkong à Beyrouth, voilà plusieurs semaines que les foules battent le pavé pour réclamer un semblant de dignité et refuser les sacrifices auxquels elles se sentent acculées.

Bien sûr, la simultanéité de ces soulèvements ne doit pas nous aveugler. Chacun a ses racines propres, son terreau historique, son contexte politique, et on aurait tort d’y voir les prémices d’une révolte mondiale, comme le rappelle justement le géographe Michel Foucher dans ce numéro du 1. Mais, à défaut d’un adversaire global, le voyage que nous vous proposons dans ce monde en ébullition met en évidence quelques fractures communes : crise de la démocratie représentative, creusement des inégalités, corruption endémique, monopolisation du pouvoir. Surtout, sur tous les continents, la bascule semble suivre la même logique : une réforme mal acceptée qui, si elle n’est pas rapidement retirée, entraîne une remise en cause de l’ensemble du système. Avec des manifestations de masse d’abord, généralement pacifiques, mais qui, face aux blocages du pouvoir ou à la répression armée, peuvent donner lieu à un tournant plus radical, voire insurrectionnel.

Ce 17 novembre va marquer en France l’anniversaire du début du mouvement des Gilets jaunes. Et s’il y a bien longtemps que la fièvre du samedi midi est retombée et que les cortèges ne font plus la une des journaux télévisés, il n’est pas dit que le feu allumé à l’automne dernier soit tout à fait circonscrit. Il n’y a qu’à voir la fébrilité qui saisit le pays à l’approche du 5 décembre, qui pourrait marquer l’avènement d’un nouveau mouvement, contre la réforme des retraites celui-là. Il y a un an ou deux, on aurait encore appelé ça la « grogne sociale ». Aujourd’hui, la grogne a laissé la place à une colère latente, qui n’attend que la prochaine goutte d’eau pour déborder et montrer son visage. 

 

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