« Une nation bipolaire avec Donald Trump à la barre »
Dans un ouvrage collectif qui vient de paraître aux États-Unis, une vingtaine de psychiatres et psychologues s’interrogent sur la santé mentale du président Trump. Nous en présentons ci-dessous un extrait. Philip Zimbardo, professeur émérite à Stanford, et Rosemary Sword, responsable du programme Time perspective therapy, y reviennent sur l’expression « effet Trump », qui tire son origine des cours d’école. De fait, ces deux mots ont d’abord désigné le phénomène d’augmentation des cas de harcèlement entre élèves durant la campagne présidentielle.Temps de lecture : 9 minutes
Une personne peut affecter une nation tout entière, et Trump en est le meilleur exemple. Il existe un « effet Trump ». À l’origine, l’expression décrivait la multiplication des cas de harcèlement à l’école que la rhétorique de Donald Trump a provoquée tout au long de sa campagne. Cette définition particulière de l’« effet Trump » – à distinguer de l’influence de Trump sur le marché boursier ou la montée des populismes en Europe, comme de son art de contourner publiquement la vérité – a pris de l’ampleur dans les médias au moment où la campagne présidentielle s’est mise à battre son plein et que Donald Trump a remporté les élections.
En un rien de temps, le harcèlement a quitté les bancs de l’école pour, chez les adultes, prendre une connotation religieuse et raciale. Au moins quatre mosquées ont été réduites en cendres. Dans tout le pays, des cimetières juifs ont été profanés. Deux pauvres ingénieurs indiens qui dînaient au restaurant se sont fait tirer dessus, tout comme l’Américain blanc venu à leur secours. L’un des ingénieurs est décédé, non sans avoir entendu les invectives racistes hurlées à son encontre par l’assaillant, la dernière étant : « Dégage de mon pays ! »
Plus récemment, les articles sur l’effet Trump ont laissé une large place à une couverture sans répit de ses tweets, de son étrange comportement et des liens illégaux qui uniraient potentiellement les membres de sa campagne avec la Russie. Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’effet Trump existe, et ce phénomène n’en est qu’à ses prémices.
Un rapport produit par Maureen Costello, en charge du Teaching Tolerance project au Southern Poverty Law Center (SPLC), baptisé « L’effet Trump : l’impact de la campagne présidentielle de 2016 sur les écoles de notre nation », énonce en termes non équivoques les conséquences désastreuses de l’attitude de Donald Trump. Il indique que les élèves immigrés, les enfants d’immigrés – dans les classes américaines, près d’un tiers des élèves ont des parents nés à l’étranger –, les Afro-Américains ainsi que d’autres élèves dits « de couleur » étaient effrayés, tandis que leurs amis s’inquiétaient pour eux et cherchaient à les protéger.
Mais bien d’autres enfants n’avaient pas du tout peur. Au contraire, certains prononçaient le nom de « Trump » en guise de raillerie ou de slogan lorsqu’ils se liguaient contre d’autres. Des enfants musulmans ont été traités de terroristes. On raconta à des enfants d’origine mexicaine qu’eux ou leurs parents allaient être déportés. Des enfants de couleur ont craint d’être rassemblés et envoyés dans des camps. Le harcèlement a fait naître chez certains de ces enfants des crises de panique et des pensées suicidaires.
Un point, valable pour toutes les classes, a émergé : les élèves ont compris qu’il n’est « pas beau » de harceler. Notre recherche a également révélé que la plupart des témoins de ces comportements sont tétanisés. Nombre des spectateurs passifs ressentent une profonde honte de ne pas avoir agi contre l’injustice vécue par leurs amis et par leurs camarades de classe – une autre conséquence négative de ce harcèlement, qui fait ainsi d’autres victimes que ses seules cibles.
Bien que l’impact durable de ces mauvaises expériences sur le bien-être des enfants soit impossible à mesurer, on peut affirmer que le stress et l’anxiété ressentis ont affecté leur santé, leur état émotionnel et leur travail scolaire. Il est bien connu que des enfants soumis au stress ont plus de difficultés à apprendre et, de fait, le rapport a indiqué dans de nombreux cas que l’anxiété avait eu un impact sur les notes et sur la capacité des élèves à se concentrer. Tous les élèves, qu’ils appartiennent aux groupes ciblés ou non, sont vulnérables au stress causé par l’effet Trump.
En creusant un peu plus, on s’aperçoit que les enfants sont le reflet de l’éducation qu’ils ont reçue. La plupart du temps, dans nos écoles, l’attitude agressive de certains élèves envers d’autres est le reflet de ce qu’ils observent dans leur entourage familial. Alors, comment cette minorité active a-t-elle réagi à l’élection de Donald Trump ? Les statistiques montrent qu’ils sont devenus d’autant plus téméraires. Ils ont commencé, ces derniers mois, à commettre des crimes haineux contre les juifs, mais aussi contre les musulmans et les Mexicains. L’idée que Trump puisse approuver les suprémacistes blancs et antisémites a dopé leur audace.
Selon le SPLC, au cours des deux semaines qui ont suivi l’investiture de Trump, on comptabilise 70 incidents antisémites et 31 incidents antimusulmans, essentiellement des menaces d’attaque à la bombe. Ces chiffres sont respectivement proportionnels aux populations juive et musulmane des États-Unis, ce qui signifie que les juifs et les musulmans ont à peu près les mêmes probabilités d’être pris pour cible.
La récente série de profanations de tombes et de lieux de cultes juifs, de même que les incendies de mosquées, devrait nous apparaître à nous tous, en tant qu’Américains, comme des faits extrêmement préoccupants, notre nation étant largement composée d’immigrants. Ces offenses visant les juifs et les musulmans dans leur identité exaltent la déshumanisation de nos semblables. Bien que le président ait finalement été contraint de condamner ces actes antisémites, nous avons trouvé peu de manifestations, au cours de nos recherches, de sa réprobation des attaques perpétrées contre des Américains musulmans. Cette réticence à servir et à protéger des pans entiers de la population est une manière supplémentaire de signifier aux harceleurs que leur comportement est acceptable à ses yeux.
Un diagramme de Venn effrayant
Chez Donald Trump, il existe un diagramme de Venn* effrayant composé de trois cercles : le premier représente l’hédonisme extrême ; le deuxième, le narcissisme ; et le troisième, un comportement de harceleur. Ces trois cercles se chevauchent pour créer, au centre, une personne impulsive, immature et incompétente qui, quand elle détient le pouvoir ultime, glisse facilement vers le rôle du tyran, magnifié par la présence des membres de sa famille autour de la « table des régnants ». Comme un dictateur néophyte, il plante les graines de la perfidie dans les esprits de certains citoyens et renforce ainsi leurs attitudes déjà négatives.
Pour revenir au cœur de notre sujet, voici ce que nous considérons comme deux des plus dangereuses paroles prononcées par Trump :
• « Si elle arrive à choisir ses juges, il n’y a rien que vous puissiez faire, les gars. Quoiqu’avec le Second Amendement… Peut-être y a-t-il une solution, je ne sais pas. » (Parole prononcée pendant la campagne présidentielle, à l’occasion d’un rassemblement à Wilmington, en Caroline du Nord, le 9 août 2016. Trump fait ici référence à la candidate démocrate Hillary Clinton, qui pourrait choisir des juges progressistes à la Cour suprême. Dans ce cas, les porteurs d’armes seraient en mesure d’agir, en l’assassinant par exemple.)
• « Je pourrais me tenir au milieu de la Cinquième Avenue, tirer sur quelqu’un, et je ne perdrais pas le moindre électeur. » (Parole prononcée au cours de la campagne, lors d’une apparition publique à Sioux City, dans l’Iowa, le 2 janvier 2016.)
Avant Donald Trump, il était inimaginable pour les citoyens américains d’envisager consciemment de voter pour une personne aussi déséquilibrée que ce président-là, puis de l’investir. Mais pas impossible de le faire, comme le souligne Guy Winch dans son article intitulé « Étude : la moitié des présidents souffraient de maladies mentales » (publié le 2 février 2016 dans Psychology Today). Selon Winch, beaucoup de nos présidents pourraient avoir souffert de problèmes de santé mentale comme la dépression (Abraham Lincoln), la bipolarité (Lyndon Johnson), l’alcoolisme (Ulysses S. Grant), la maladie d’Alzheimer (Ronald Reagan) ou l’hédonisme extrême, au cours d’épisodes passagers (John F. Kennedy et Bill Clinton). Nous avons également survécu à un président qui, pour couvrir les traces de ses crimes, a menti de manière éhontée avant d’être pris en flagrant délit (Richard Nixon).
Dans le passé, les Américains ont travaillé ensemble pour surmonter leurs différences. Ils ont progressé collectivement, comme un seul et grand pays. Malheureusement, ces derniers temps, il semblerait que, avec Donald Trump à la barre, nous soyons devenus une nation bipolaire. Ses partisans applaudissent tandis que d’autres tentent de résister.
* Schéma exposant les relations logiques possibles entre plusieurs ensembles.
Traduction de MANON PAULIC
Ce texte est un extrait remanié de l’article « Unbridled and Extreme Present Hedonism : How the Leader of the Free World Has Proven Time and Again He Is Unfit for Duty » © 2017, Philip Zimbardo et Rosemary Sword, dans The Dangerous Case of Donald Trump, Bandy X. Lee (éd.), M.D., M. Div., organisateur du colloque de Yale « Duty to Warn » © 2017, Bandy X. Lee, reproduit avec l’autorisation de St. Martin’s Press
« Pour Trump, les Américains ne doivent surtout pas se réveiller »
Thomas Snégaroff
Quelles peuvent être les conséquences des inculpations de trois anciens collaborateurs de Trump par le procureur spécial Mueller dans l’enquête russe ?
Mueller avait jusqu’alors travaillé dans le plus grand secret. On pouvait même se demander si l’enquête n’allait pas tou…
[Grandeur]
Robert Solé
L’admiration que Donald Trump junior éprouve pour son papa s’est exprimée le 22 octobre de manière charmante. Ce garçon de 39 ans, qui gère les relations internationales de la firme familiale, a posté sur Instagram un photomontage (.…
Wall Street se frotte les mains
Julien Bisson
NEW YORK. C’est un jeudi noir à Wall Street. Noir de monde en tout cas. Sous la statue de George Washington qui domine la rue, les grappes de touristes se succèdent, smartphone à la main et sac I love NY en bandoulière. De…