Ce livre, en combinant le récit d’aventure et l’observation ethnologique, est devenu un classique.

L’auteur 

Né en 1922, Jean Malaurie est un ethno-historien et géographe français. Dès 1948, il accompagne Paul-Émile Victor lors de ses célèbres expéditions polaires. Deux ans plus tard, il se lance dans une mission solitaire au Groenland qu’il relatera à son retour dans Les Derniers Rois de Thulé. En 1955, il fonde la collection « Terre Humaine » aux éditions Plon dans l’idée de promouvoir une nouvelle approche de l’anthropologie : il s’agit de rompre avec l’exigence d’objectivité scientifique en remettant la sensibilité au cœur de l’expérience anthropologique. Il privilégie ainsi les récits à la première personne et la retranscription de dialogues pour redonner une voix à des populations de culture orale dont la parole est souvent confisquée. Les Derniers Rois de Thulé inaugure la collection, bientôt suivi du livre Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss.

Le livre 

Île mystérieuse située au-delà du cercle polaire pour le Grec Pythéas, extrémité septentrionale du monde connu pour les Romains, Thulé a nourri bien des fantasmes ; c’est ce nom que choisirent les Occidentaux pour désigner le territoire millénaire inuit au nord-ouest du Groenland.

De 1950 à 1951, Jean Malaurie s’y installe et partage la vie des Esquimaux. Alliant précision scientifique et art du récit, il raconte la chasse, décrit la nourriture, les igloos, mais aussi les normes immémoriales, les croyances ancestrales, l’équilibre fragile de cet écosystème. Pour comprendre au mieux cette société, Malaurie apprend le dialecte et s’initie aux coutumes de cette petite communauté de trois cents Inuit vivant en quasi-autarcie. 

L’anthropologue est donc aux premières loges lorsque la vie de la communauté bascule du jour au lendemain : avec l’autorisation du Danemark et sans consulter les Inuit, les États-Unis établissent une base militaire sur le territoire de Thulé. Immédiatement, les effets sont perceptibles. Des Américains arrivent, introduisent l’argent dans la communauté en achetant des objets traditionnels comme souvenirs. Ils apportent de la nourriture nouvelle, des polluants et de nouveaux standards. Les Inuit sont très vite contraints d’émigrer au Nord, où les conditions de vie sont beaucoup plus rudes. C’est ce moment si particulier que saisit l’auteur dans la seconde partie du livre.

Et après ? 

Dans la grande tradition du voyage philosophique, l’œuvre de Malaurie est plus qu’un simple témoignage. C’est un genre littéraire nouveau où l’art du récit sert une forme d’ethnologie pionnière, fondée sur la compréhension intime. C’est également un plaidoyer pour le droit des minorités. 

Malaurie est retourné plusieurs fois en mission à Thulé et s’est engagé dans la défense des droits des peuples arctiques. Toujours exilés au Nord, les Inuit de Thulé souffrent de chômage, de malnutrition et d’alcoolisme. En 2004, ils attaqueront sans succès le Danemark en justice pour exiger un droit au retour. 

Les concepts

Dans son travail, Jean Malaurie s’appuie sur deux notions qui lui permettent de poser un regard neuf sur le peuple inuit :

– l’observation participante. Cette méthode d’étude ethnologique et sociologique consiste à analyser une société en partageant son mode de vie et en se faisant accepter par ses membres ;

– l’hypothèse Gaïa. D’après le scientifique britannique James Lovelock, la Terre serait un « système physiologique dynamique ». C’est sur ce concept que Malaurie fonde sa méthode en étudiant un peuple dans son rapport à son environnement. 

LOU HÉLIOT

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