Je devais avoir 5 ou 6 ans lorsque mon grand-père m’a emmenée voir mon premier Star Wars dans un cinéma de quartier. Ces films m’ont émerveillée ! Je m’y suis aussitôt sentie à ma place. Il y avait cette princesse qui se battait et ne se contentait pas de suivre. Au contraire, elle était l’une des chefs de la Rébellion et s’efforçait de sauver la galaxie. Alors que je ne me retrouvais pas dans les modèles féminins censés me représenter comme Barbie, Cendrillon ou Blanche-Neige, je me suis tout de suite identifiée à ce personnage. Les robes et les rubans n’étaient pas mon truc. Ses tenues étaient bien différentes. Et ces macarons, quelle idée géniale ! Ses coiffures avaient quelque chose de tellement atypique… Cela contribuait à la rendre encore plus singulière. 

Leia était valorisée pour autre chose que sa féminité, même s’il y a ce passage du Retour du Jedi dans lequel on la voit en bikini, asservie à Jabba le Hutt. En y repensant, je me dis que cette grosse limace est la parfaite incarnation du « porc », avec ce regard dégoûtant, dominateur, qui réduit la femme à un objet. Mais elle finit par l’étrangler avec la chaîne qui la retient à lui ! Si j’ai été amoureuse de Luke, le gentil prince, et plus tard de Han Solo, le rebelle, Leia a vraiment été mon point d’accroche avec cet univers.

« Il y avait cette princesse qui se battait » 

Je n’avais bien sûr pas intellectualisé tout ça à l’époque. Il y avait ce plaisir si fort de voyager hors de la vie réelle, de voir ces héros qui étaient des gens, pour ainsi dire, normaux plonger dans des aventures extraordinaires. C’était une façon de m’extraire d’un quotidien dans lequel je m’ennuyais pour vivre des choses bien plus excitantes. Je partageais cette passion avec mon frère et ses copains. J’avais un peu l’impression d’être dans le secret des dieux – mes amies filles ne s’intéressaient pas du tout à ces univers. J’en tirais beaucoup de fierté, avec le sentiment d’être assez à part. Nous jouions à refaire Star Wars avec les jouets des films et je me racontais un tas d’histoires. Comme j’aurais adoré avoir un sabre laser pareil à ceux qu’on trouve désormais dans le commerce pour les enfants ! Ces objets, leur mythologie, me fascinaient, tout comme le masque de Dark Vador. 

L’esthétique de la saga m’a vraiment fait rêver – aussi bien les AT-AT du début de L’Empire contre-attaque que l’hyperespace ou les musiciens de la Cantina. Tous ces vaisseaux qui naviguaient et explosaient dans l’espace… On se demandait comment ils avaient bien pu faire ça. Ado, dès que j’en avais l’occasion, je lisais des articles sur les coulisses des films et regardais les making of. Apprendre que certains astéroïdes au fond du décor étaient de simples pommes de terre avait quelque chose de réjouissant. Je ne le savais pas encore, mais ma vocation de réalisatrice était en train de s’éveiller. 

Star Wars m’a très tôt ouverte à la science-fiction et, avec Indiana Jones, donné le goût de ce cinéma américain qui porte des imaginaires très forts. Plus tard, je me suis tournée vers des œuvres plus noires – Rambo, RoboCop… –, mais je n’ai regardé aucun autre film autant que ceux de la première trilogie. Nous avons loué les VHS un nombre incalculable de fois au vidéoclub ! J’avais aussi la musique. Ces CD ont servi de bande sonore à mes premières expérimentations cinématographiques, vers 15 ans.

L’un de mes tout premiers courts métrages amateurs était un petit remake de Star Wars filmé au caméscope moitié en stop motion avec les figurines, moitié avec mes amis du lycée, que j’avais déguisés en Stormtroopers et en Ewoks. Le costume de Z-6PO avait été bricolé à partir d’une couverture de survie et de papier d’alu. J’avais aussi recréé une scène avec un vaisseau de l’Empire en appliquant de la bombe pailletée sur une porte noire. À travers le petit caméscope, celle-ci se changeait en un ciel étoilé très convaincant. 

« Je préfère oublier l’existence de ces nouvelles versions »

Pour moi, c’est ça la magie du cinéma, ce plaisir de réfléchir à l’idée qui va permettre de donner vie à quelque chose qui n’existait pas, cette part de triche. Encore aujourd’hui, je préfère autant que possible recourir à des trucages artisanaux plutôt que d’ajouter des images de synthèse.

À mes yeux, la remastérisation de la saga a d’ailleurs été un carnage. Pourtant, l’attente était très forte. Il n’y avait rien eu depuis quinze ans, Star Wars était devenu quelque chose d’un peu enfoui. J’ai eu l’impression qu’on tuait une part de mon enfance avec ces nouveaux effets créés par ordinateur et ces rajouts. Je n’étais plus chez moi… Or je crois vraiment que la magie d’un film se cristallise à un moment donné avec l’équipe et les moyens dont on dispose à l’époque. Cet aspect humain, qui repose sur beaucoup de contingences, permet de donner vie à une œuvre unique, avec sa logique et son esprit propres. Je préfère oublier l’existence de ces nouvelles versions. Il est assez dingue de se dire que les films originaux sont introuvables. Toute une confrérie de fans se livre d’ailleurs à une grande chasse au trésor pour les reconstituer en mêlant des extraits de telle ou telle édition et des images tirées de vieilles VHS.

Les films suivants sont assez vite sortis de ma mythologie Star Wars. Pourtant, il y a toujours une petite corde qui vibre en moi à l’annonce d’une série sur Boba Fett ou Lando Calrissian. La première saison de The Mandalorian m’a permis de renouer un peu avec la magie des premiers, leur simplicité, leur humour. Mais je crois aussi qu’une bonne partie de leur aura tenait à leur rareté. On attendait trois, quatre ans entre chaque. Aujourd’hui, on est inondé.

George Lucas reste néanmoins une figure mythique. J’ai été heureuse de pouvoir lui dire un mot sur scène à Cannes lorsque j’ai reçu mon prix. Beaucoup le voyaient comme un fou. Quand on est comme lui un peu avant-gardiste, il faut avoir les nerfs solides pour croire en ce qu’on fait. Il a énormément compté dans ma construction. Ses films continuent à exister dans ma tête. Ils y resteront toujours. 

Conversation avec M.M. 

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