D’emblée, on est prévenu. L’histoire se déroule « il y a très longtemps » et le « futur » qu’elle nous présente – qui est un passé si on lit bien – a peu à voir avec le nôtre. S’agit-il même de science-fiction ? Dans une critique de La Guerre des étoiles parue en 1978, l’écrivaine Ursula Le Guin en déplorait le caractère profondément nostalgique, pointant son imaginaire tout droit sorti du second conflit mondial et de l’Empire colonial britannique. Et beaucoup d’auteurs considèrent que, par bien des aspects, la « saga » se rapproche davantage de la fantasy à la Tolkien que d’une réflexion spéculative sur l’avenir. Il n’empêche qu’elle contient son lot de machines et de gadgets technologiques. L’une de ses innovations marquantes est d’ailleurs de nous montrer que ces choses et le monde qui les entoure ont un passé bien palpable, un vécu dont témoignent leur crasse et leurs dysfonctionnements. Songeons à l’emblématique Faucon Millenium du contrebandier Han Solo, maintes fois bidouillé et réaménagé pour dissimuler des caches de marchandises.

Jusqu’alors, les œuvres de space opera les plus populaires – la série Star Trek, lancée en 1966, ou 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick, sorti deux ans plus tard – avaient habitué les spectateurs à des vaisseaux et des costumes éternellement flambant neufs. Or Star Wars nous plonge dans un futur usé, voire déglingué. S’ils ne sont pas les premiers à le faire – le tournant avait été amorcé par Moon Zero Two en 1969 –, les films de la première trilogie ont plus qu’aucun autre contribué à faire de cette esthétique un lieu commun presque indépassable du cinéma de SF, du premier Alien, réalisé par Ridley Scott en 1979, au récent Dune de Denis Villeneuve. Et le médiéval fantastique a emboîté le pas – dès 1981, John Boorman ne tardait pas à couvrir les trop étincelants chevaliers d’Excalibur de boue, de rouille et de sang.

Avec le succès de Star Wars, et grâce à la volonté de Lucas de donner à son univers une patine réaliste dans une approche quasi documentaire – qui rappelle la façon dont Sergio Leone, une décennie plus tôt, a révolutionné le western en l’encrassant –, on prend conscience que les objets auront toujours une vie après leur sortie d’usine et qu’elle les voue, comme nous, à la décrépitude plutôt qu’à l’immortalité figée des publicités sur papier glacé.

Avatar du fascisme et de son rêve de pureté uniforme, l’Empire galactique fait globalement exception. Ses Stormtroopers sont ainsi parés d’armures blanches et lisses. Mais cette netteté de façade a quelque chose de mortifère et cache mal la brutalité de l’ordre qu’il fait régner en s’appuyant sur des puissances mafieuses comme l’administrateur de Bespin Lando Calrissian (vite repenti) ou Jabba le Hutt et sa clique de chasseurs de primes.

« Star Wars nous plonge dans un futur usé, voire déglingué »

Du côté des rebelles et d’une bonne partie de cette galaxie grouillante de diversité, au contraire, on s’accommode de véhicules vétustes et poussiéreux, ainsi que d’appareils et de droïdes défectueux, qu’on s’arrangera tant bien que mal pour faire fonctionner, ne serait-ce qu’en tapant dessus. Une large partie des protagonistes de la saga n’hésitent pas ainsi à mettre les mains (ou les bras mécaniques) dans le cambouis : Luke, Han, Chewbacca, Leia, Rey, R2 et plus encore Anakin, qui, enfant, se distingue d’abord par ses facultés exceptionnelles de bricoleur. Et même les nobles chevaliers Jedi doivent en passer par là, l’achèvement de leur formation impliquant la réalisation de leur sabre laser, lequel par sa forme et la couleur de son faisceau lumineux reflète la personnalité de celui qui l’a créé.

L’idée n’aurait sans doute pas déplu au socialiste William Morris (1834-1896), pionnier de la fantasy et fondateur de l’Arts & Crafts, qui, contre la laideur de la civilisation industrielle et ses fausses promesses, défendait un artisanat émancipateur et un luxe simple. Peut-être est-ce tirer un peu trop sur le fil tendu par la saga que de lui donner une dimension technocritique et de faire de Lucas l’apôtre d’un do it yourself joyeux et libérateur. Mais ses films, qui tiennent du bricolage de génie par leurs effets spéciaux et leur montage, ne cessent de nous présenter des personnages qui se saisissent de leurs outils pour surmonter des pannes, dans un rapport aux technologies bien éloigné du modèle que proposent à leurs utilisateurs captifs les firmes comme Apple avec leurs produits beaux, lisses et ultraverrouillés. En outre, à l’heure où certaines personnes meurent pour s’être trop fiées à leur GPS, on se souviendra que c’est en débranchant l’ordinateur de visée de son X-wing et en s’en remettant à son intuition que Luke parvient, à la fin du premier film, à détruire l’Étoile noire et son superlaser capable de réduire en miettes n’importe quelle planète… à l’image d’une gigantesque bombe atomique. 

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