De quoi la Force est-elle le nom ?
Temps de lecture : 7 minutes
La Force ? « C’est une sorte de fluide créé par tout être vivant. Une énergie qui nous entoure et nous pénètre, et qui maintient la galaxie en un tout unique. » Voilà ce qu’en dit le vieux chevalier Jedi Obi-Wan Kenobi en 1977, dans le film originel de la saga Star Wars. Si le réalisateur George Lucas a placé une telle définition dans les répliques d’Alec Guinness, c’est peut-être parce qu’il sentait que ce concept allait être difficile à saisir ; pour expliquer aussi que la Force ne s’arrête pas à la télékinésie ou à l’altération mentale, ces petits « tours » joués par le premier Jedi connu. Le cinéaste a pu retoucher son histoire sur certains points (la parenté de Luke et de Leia étant le plus célèbre), mais la Force, elle, a peu évolué dans son esprit… Même s’il lui a fallu du temps pour exposer clairement ses idées sur ce sujet.
Elle tient d’abord de la magie et s’inscrit, avec les « chevaliers » Jedi et la « princesse » Leia, parmi ces éléments qui rapprochent Star Wars du genre de la fantasy, d’inspiration médiévale. Ses utilisateurs ont accès à des compétences surnaturelles : l’altération mentale utilisée par Obi-Wan Kenobi, la télékinésie employée par Dark Vador pour étrangler l’amiral Motti, ou encore les capacités accrues qui permettent à Luke Skywalker de détruire l’Étoile de la mort. Même le Côté Obscur entre dans ce schéma ; c’est un équivalent de la magie noire employée par la fée Morgane ou les enchanteresses antiques Médée et Circé, avec peut-être moins d’incantations. Cette approche liée au fantastique et aux forces de la nature a été d’ailleurs approfondie par la suite. Plusieurs Jedi, en particulier le héros de la série Rebels, Ezra Bridger, ont présenté dans les œuvres de ces dernières années un lien très fort avec les animaux et le vivant, à la façon des druides des univers médiévaux-fantastiques. Pour le Côté Obscur, la filiation est encore plus assumée avec l’évocation d’une « sorcellerie Sith » et l’apparition des Sorcières dans les séries The Clone Wars, puis Ahsoka et The Acolyte.
L’entraînement auquel est soumis le jeune Luke dans L’Empire contre-attaque vient cependant complexifier cette approche avec l’introduction du personnage de Yoda. Le Rebelle vient sur Dagobah trouver un grand guerrier ; il découvre un sage vieillard, un sensei pour lequel la voie des Jedi va bien au-delà du seul sabre laser. Survient la scène symbolisant cette approche, dans la grotte du Côté Obscur où Luke se retrouve face à un Dark Vador qui est en fait lui-même. Lucas, protestant méthodiste initié au bouddhisme, n’a jamais caché ses inspirations orientales, qu’il s’agisse du cinéma de Kurosawa ou des arts martiaux. La Force, à travers ses Côtés Lumineux et Obscur, rappelle la vision portée par le manichéisme d’un monde régi par l’affrontement de deux principes antagonistes, éternels et égaux, le Bien et le Mal.
Cependant, dans Le Retour du Jedi, ce n’est pas un Jedi ayant refusé de succomber au Côté Obscur qui triomphe du mal, mais bien celui qui a su s’en détacher et retrouver la voie de la lumière. Ce dernier duel peut laisser penser que la Force tient moins de l’absolu manichéiste que du concept chinois du yin et du yang : elle possède deux côtés complémentaires qui ne peuvent exister l’un sans l’autre. Ainsi, c’est quand il s’abandonne brièvement à sa colère que Luke Skywalker défait Dark Vador ; et c’est lorsqu’il revient vers la lumière, dans ses derniers instants, que ce même Vador peut terrasser l’Empereur.
Cette idée d’équilibre va être reprise dans la prélogie. En 1999, la sortie de La Menace fantôme permet d’aborder l’univers de la saga sous un nouvel angle. Fini l’épopée à la sauce médiévale, place à une tragédie façon antique qui affecte la représentation de la Force. La conception qu’en a le Jedi Qui-Gon Jinn, maître d’Obi-Wan Kenobi, en se « focalisant sur l’instant présent », n’est pas très différente de ce que l’on pouvait voir jusqu’ici ; mais le concept de l’Élu, de la prophétie de l’Équilibre de la Force, apporte une dimension temporelle bien plus ambitieuse que celle déjà présente dans L’Empire contre-attaque, lorsque Luke perçoit les tourments qui vont être infligés sous peu à ses amis. Dans cette seconde trilogie, nous nous rapprochons davantage des grandes destinées tragiques prédites par la Pythie de Delphes, tant pour la forme que pour le résultat… À savoir la fatalité du destin s’abattant sur Anakin Skywalker.
Un pouvoir… et des utilisateurs
L’autre importante nouveauté concernant la Force est l’introduction des midi-chloriens. C’est un concept controversé, car il pose une question primordiale : qui donc est en mesure de ressentir la Force, et par extension de l’utiliser ?
Dans sa première trilogie, George Lucas est resté assez flou sur ce point. Mis à part la déclaration de Luke Skywalker, selon laquelle « la Force est puissante dans [sa] famille », le créateur de la saga ne donne pas vraiment d’explications. Si les Jedi sont si forts, pourquoi la Rébellion n’en a-t-elle pas formé toute une armée ?
Cette question s’est montrée problématique pour les premiers écrivains appelés à travailler sur l’univers étendu de Star Wars. En 1994, l’auteur de la trilogie de L’Académie Jedi, Kevin J. Anderson, a imaginé plusieurs solutions permettant de sélectionner les élèves potentiels : des tâches les mettant à l’épreuve, un réflexe propre aux seuls utilisateurs de la Force (conscients ou non de leurs capacités), ou encore une machine conçue pour les repérer, sans que l’on sache comment elle fonctionne.
L’arrivée des midi-chloriens, reflet d’une époque où l’étude du génome et de l’infiniment petit prenait de plus en plus d’importance, a contribué à battre en brèche l’idée selon laquelle tout un chacun peut devenir un Jedi puisque la sensibilité à la Force s’apparente désormais à un paramètre sanguin parmi d’autres, ou presque. Et qui dit sang dit héritage, ce qui renforce l’aspect « dynastique » incarné par les Skywalker aux dépens de l’universalisme dont la Force aurait pu être porteuse. Cette conception a été l’un des plus importants points d’achoppement entre George Lucas et nombre de ses premiers fans.
D’ailleurs, elle ne semble plus de mise en 2023 : dans Ahsoka, le personnage de Sabine Wren reçoit une initiation Jedi alors qu’elle n’a fait montre d’aucun talent en la matière dans Rebels et ne paraissait pas posséder les aptitudes nécessaires. Cette fois encore, bien des amateurs de la saga ont protesté. Alors, la Force est-elle acquise ou innée ? Le débat reste ouvert, et George Lucas, lui-même, n’a apparemment pas fait preuve d’idées très arrêtées en la matière. « Tout le monde peut l’utiliser, c’est juste que les Jedi prennent le temps de le faire », déclarait-il lors de la préparation du Retour du Jedi… une quinzaine d’années avant de créer les midi-chloriens.
Un concept protéiforme
Enfin, la Force est-elle une religion ? La réponse est, là encore, plutôt nuancée. L’univers étendu de la saga a présenté plusieurs cultes construits autour de la Force, adorant ses deux aspects que sont Ashla (la lumière) et Bogan (l’obscurité). En ce qui concerne les Jedi eux-mêmes, s’ils sont organisés comme un ordre monastique et suivent un code, ils ne paraissent pas vénérer la Force en elle-même, mais se laissent guider par ce qu’elle leur indique en se fiant à leur intuition. Leurs adversaires, les Sith, tentent illusoirement de la dominer et d’en faire un instrument, ce qui les conduit à s’asservir à son Côté Obscur. Quant à la grande majorité de la galaxie, elle semble ignorer cette présence qu’elle ne peut percevoir.
L’aspect de la Force qui se rapproche le plus du fait religieux est sans doute la promesse d’une existence après la mort. Dès le premier film de la saga, Ben Kenobi, terrassé par Dark Vador, faisait entendre sa voix désincarnée, avant d’apparaître à Luke dans les deux opus suivants. Mais l’on ne sait rien de cet « après », il n’y a pas l’idée d’un paradis ou d’un enfer, ce qui empêche de rapprocher la Force des cultes antiques ou monothéistes – alors que la naissance d’Anakin Skywalker regarde, elle, clairement du côté de la théologie chrétienne, puisque Shmi, sa mère, dit qu’il n’a pas de père et que Qui-Gon Jinn est persuadé qu’il a été conçu par la Force.
Il faut enfin noter que les séries The Clone Wars et Rebels ont fait apparaître dans certains de leurs épisodes des êtres profondément liés à la Force et qui pourraient se rapprocher de divinités. Ces apparitions, restées rares et qui ont beaucoup fait réagir le public de la saga, ne permettent pas de dire s’il s’agit vraiment d’un panthéon ou juste d’utilisateurs surclassant de loin les Jedi.
Il est donc difficile, dans quelque domaine que ce soit, de tirer des conclusions définitives sur la nature de la Force. Et c’est peut-être cela qui explique son succès : un concept protéiforme que chaque réalisateur, chaque auteur, chaque amateur de Star Wars peut s’approprier et qui en dit finalement plus sur lui-même que sur l’univers de la saga.
« Un film que personne n’attendait »
Laurent Hopman
Laurent Hopman, scénariste de la BD Les Guerres de Lucas, nous explique comment ce « film d’auteur » a révolutionné l’industrie cinématographique et donné naissance à un nouveau genre, le blockbuster familial.
Bricolages de l’espace
Martin Mauger
Notre journaliste Martin Mauger propose une réflexion sur la représentation du « futur usé » et la place du bricolage dans Star Wars.
« Ces films posent la question fondamentale de ce qu’on fait de la puissance quand on en dispose »
Thomas Snégaroff
L’historien et journaliste Thomas Snegaroff évoque la dimension politique de cette saga qui voit une république se transformer en empire et montre comment ces films sont ancrés dans l’histoire américaine.