Mal des montagnes
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Il faut du courage pour aborder l’Everest. Il faut de l’endurance, de l’entraînement, de la préparation. Il faut de l’argent aussi, entre 55 000 et 70 000 dollars selon les agences, dont 11 000 dollars pour le permis délivré par le gouvernement népalais. À ce prix, l’honneur d’aller risquer sa vie est réservé à des clients fortunés. Ou aux professionnels moins bien lotis qui les accompagnent.
The Himalayan Database, un site américain spécialisé, tient les comptes des expéditions et des morts sur l’ensemble des sommets himalayens du Népal. Le décompte définitif sur la période 1950-2009 est de 832 morts dont 608 alpinistes de toutes nationalités, et 224 sherpas. L’Everest, un quart des décès à lui seul, n’est pourtant pas le plus létal des sommets, puisque le taux de mortalité y est de 1,52 % pour les étrangers et 0,97 % pour le personnel local. L’Annapurna, par comparaison, est un tueur, avec un taux de décès de plus de 4 %.
La mort à très haute altitude est parfaitement documentée. Premières causes : les chutes (39 %), suivies des avalanches (29 %). Le MAM (mal aigu des montagnes), l’épuisement, le froid et les maladies diverses emportent beaucoup d’alpinistes, beaucoup moins de sherpas en proportion. Sur l’Everest, on meurt davantage entre 7 000 et 7 500 mètres qu’entre 8 500 et 8 848 mètres (le sommet). Enfin… c’est ce que disaient les statistiques avant ce terrible printemps 2019 durant lequel onze personnes ont perdu la vie à cause de la queue qui s’est formée sur l’ultime crête – le temps que chacun prenne son selfie sur le pic, l’oxygène s’épuisait dans les bouteilles de ceux qui attendaient par - 25 °C.
« Green Boots » est le mort le plus familier des grimpeurs. Son corps recroquevillé gît à 8 460 mètres, ses chaussures de montagne d’un jaune-vert fluo servant de repère. On ignore son nom et sa nationalité mais on pense qu’il est mort lors d’une terrible tempête, en 1996. Tous ceux qui ont fait l’ascension ont vu au moins un des quelque 150 cadavres qui jonchent les différents itinéraires d’accès à l’Everest. En 2006, une quarantaine d’alpinistes sont passés sans s’arrêter devant David Sharp, agonisant mais encore vivant. Le grand Edmund Hillary fut désespéré par le manque d’éthique de ses lointains successeurs, lui qui atteignit le sommet en 1953. Pour les sherpas népalais, la date du 18 avril 2014 reste un jour de deuil : seize d’entre eux furent écrasés par une avalanche en pleine nuit, alors qu’ils allaient préparer l’ascension de leurs clients.
Mais, pour être honnête, l’Everest n’est pas seulement un cimetière. C’est aussi la plus haute décharge d’ordures de la planète. Les milliers de personnes qui ont tenté l’ascension (800 rien qu’en 2018) ont laissé le long des pistes tout ce dont elles n’avaient plus l’usage : bouteilles d’oxygène, tentes, matériel d’alpinisme, récipients divers. Et aussi une quantité phénoménale d’étrons. Le problème est que ces matières contaminent la neige, qu’on fait fondre pour boire et se laver. Les autorités népalaises ont réagi. Ceux qui entreprennent l’ascension se voient remettre un poop bag en aluminium à leur nom, pour récolter leurs déjections. Les expéditions doivent prouver qu’elles n’ont pas abandonné leur matériel pour récupérer la caution de 4 000 dollars, et chaque grimpeur est censé rapporter au moins 8 kilos de déchets. Selon tous les témoignages, les résultats se font attendre.
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