Pourquoi le Covid-19 est-il plus dangereux pour les seniors que pour les autres couches de la population ?

La principale explication tient aux comorbidités. Selon les données de Santé publique France, celles-ci interviennent dans deux tiers des décès, quelles que soient les tranches d’âge. Or il est évident que les comorbidités les plus fréquentes – pathologies cardiaques, hypertension artérielle, mais aussi diabète, pathologies rénales ou respiratoires, obésité – sont beaucoup plus fréquentes chez les personnes âgées, sans compter une insuffisance respiratoire pour bon nombre d’entre elles.

Cela veut-il dire qu’une partie des morts imputées au Covid seraient advenues quoi qu’il en soit ?

Il est en effet difficile, dans le cas d’une personne très âgée avec un test PCR positif, de déterminer si le décès est dû à son état de santé préalable ou au Covid. Si vous êtes atteint d’un cancer mais hospitalisé dans une unité Covid, quelle est la cause ultime de votre mort ? Est-ce que le Covid accélère le cancer ? Tout cela est très complexe. C’est pourquoi on a d’ailleurs une telle disparité entre les pays : personne ne comptabilise les décès de la même façon. Il n’en reste pas moins que le pays a connu une surmortalité très importante depuis un an : il y a aujourd’hui en France 75 000 morts liés au Covid, sans doute davantage puisque beaucoup de personnes meurent encore chez elles sans diagnostic PCR. Et 93 % de ces décès concernent les plus de 65 ans, avec un âge moyen de 85 ans.

Des voix se sont élevées pour affirmer que ces morts étaient « normales », vu l’âge des malades, et qu’on avait tort de bloquer la société pour sauver quelques vieillards. Qu’en pensez-vous ?

À ces discours, j’oppose la réalité des chiffres : les 45-65 ans représentent 36 % des hospitalisés et 45 % des personnes en réanimation. Même chez les 15-44 ans, la maladie a causé plus de 380 morts, dont environ 120 sans comorbidité. Cela peut sembler peu, comparé au chiffre de la mortalité générale, mais cela représente un risque néanmoins élevé dans cette tranche d’âge. Normalement, à 45 ans, vous ne devez pas mourir parce que vous êtes obèse. Avec le Covid, le risque de mortalité est très augmenté. Idem pour le diabète.

A-t-on appris à mieux soigner la maladie ?

Très nettement. Les passages en réanimation ont beaucoup diminué, parce qu’on sait qu’il faut donner très tôt aux malades de l’oxygène pour prévenir les insuffisances respiratoires, de la cortisone pour calmer la tempête cytokinique1 et l’inflammation pulmonaire, et des anticoagulants pour empêcher les caillots et les atteintes cardiaques. De ce point de vue, la mortalité a largement diminué.

Qu’en est-il des séquelles, y compris chez les plus jeunes ?

Selon une étude chinoise, 70 % des malades garderaient des séquelles à court ou moyen terme. Mais nous n’avons pas encore assez de recul pour en mesurer précisément la gravité et la longévité. Je connais un jeune interne qui, infecté en avril dernier, n’a jamais été hospitalisé mais n’est plus capable de courir. On observe chez d’autres une fatigue persistante, des difficultés respiratoires, une arythmie cardiaque, des courbatures… Ces séquelles sont évidemment plus graves chez les personnes âgées : le virus a disparu, mais l’infection a altéré les fonctions respiratoires, réduisant l’espérance de vie.

Un confinement des seules personnes âgées ou vulnérables est-il possible ou souhaitable ?

Cela n’aurait pas beaucoup d’intérêt. Pourquoi ? Parce que c’est la tranche de la population qui fait déjà le plus attention, qui se masque mieux que les autres, qui a le moins d’interactions sociales, qui fréquente moins les transports en commun, qui ne se rend pas au bureau… Alors, certes, il y a des personnes âgées qui sont contaminées, mais ces contaminations se font généralement dans le cercle familial, quand des plus jeunes viennent les voir. Un confinement des personnes âgées ne serait donc utile que si l’on interdisait les visites, ce qui ne serait ni simple ni réellement sensé, car il y a des contacts sociaux incompressibles : il faut bien les soigner ou les approvisionner. En revanche, il serait utile que les personnes les plus vulnérables limitent leurs interactions sociales en allant faire leurs courses aux heures creuses ou en évitant les lieux les plus fréquentés.

Le port du masque FFP2 pour toutes les personnes vulnérables pourrait-il être une alternative ?

Non, pas vraiment. D’abord, parce que le FFP2 est difficile à supporter ; il n’est pas fait pour un usage quotidien et prolongé. Et les masques en tissu homologués protègent bien, en particulier les masques à bec de canard, qui couvrent bien le nez et la bouche, sans trop de fuites sur les côtés. Mais surtout, c’est faire reposer sur les vieux les responsabilités d’infection, alors qu’il faut avant tout que les jeunes fassent attention à eux et aux autres.

Quels seraient les risques si on laissait les plus jeunes reprendre une vie quasi normale ?

Parmi les moins de 30 ans, on observe depuis début janvier 6 à 8 % de taux de positivité parmi ceux qui se font tester. Ce taux n’est pas très différent de celui des autres tranches d’âge. Si on laissait le virus circuler librement au sein de cette population, cela aurait plusieurs conséquences. La première, c’est l’augmentation du risque de produire des variants, et l’on connaît aujourd’hui les conséquences dramatiques que ceux-ci peuvent avoir. Ensuite, c’est le risque d’une hausse des hospitalisations. Près de 27 000 personnes parmi les 15-44 ans ont été hospitalisées depuis le début de l’épidémie, soit 12 % du nombre total. Si on ouvrait les vannes, on pourrait s’attendre à une explosion du nombre de malades jeunes, et donc à un nombre non négligeable de morts et de séquelles sanitaires dans leurs rangs. Et une contamination accrue par ricochet dans d’autres couches de la population, notamment les 45-65 ans, pour qui l’exposition au virus est bien plus grave.

Y a-t-il un risque d’engorgement des hôpitaux dans les prochaines semaines ?

Les modélisateurs et les biostatisticiens nous disent que oui, si on ne confine pas. Avec un taux de reproduction R de 1,5, nous pourrions avoir 10 000 personnes en réanimation au 15 mars. Il faudra donc très certainement recourir à une forme plus ou moins dure de confinement. Avec plus de 20 000 cas positifs par jour, nous ne sommes plus capables de retracer les chaînes de contamination. Il faut donc limiter la circulation virale autrement, soit par un confinement, soit par une meilleure gestion des cas contacts, en essayant de limiter notamment les contaminations intrafamiliales ou en favorisant le télétravail. De ce point de vue, il faut certainement mieux expliquer la conduite à suivre pour réduire au maximum les interactions sociales, professionnelles ou familiales.

Quelles sont les autres conséquences de l’engorgement des hôpitaux ?

Beaucoup de pathologies ne sont plus détectées. On constate une diminution des diagnostics d’AVC ou de cancers alors qu’il n’y a aucune raison pour que ces chiffres chutent en quelques mois, sinon que les gens meurent chez eux ou ne se font pas dépister, par peur d’aller à l’hôpital ; ce qui aura des conséquences très dures plus tard. Mais, à ce stade, il n’y a pas de retards dans la prise en charge des urgences : si demain vous avez un accident de voiture, vous pourrez être soigné à l’hôpital.

Y a-t-il un risque de tri des malades du Covid en fonction de leur âge, avec une moins bonne prise en charge des plus âgés ?

Ça a été une réalité pendant la première vague, pour plusieurs raisons. On ne savait pas alors aussi bien soigner la maladie, je l’ai déjà dit, et beaucoup de personnes très âgées se retrouvaient en réanimation. Or, en réa, l’intubation est un acte médical violent, qui laisse des séquelles respiratoires importantes, et qui pouvait donc condamner les personnes âgées à une survie précaire, dans un état de santé très altéré. Il a donc pu y avoir des dilemmes et des arbitrages difficiles, menés par des équipes interdisciplinaires, qui ont conduit à ne pas intuber certaines personnes qui n’auraient pas supporté cette pratique, ce qui a pu en conséquence libérer des lits pour des personnes plus jeunes.

À quel horizon peut-on imaginer que l’ensemble des personnes vulnérables soient vaccinées ?

Les résidents des Ehpad devraient être vaccinés fin février, les plus de 75 ans fin mars, si l’approvisionnement tient. Mais qu’est-ce que cela changera ? Les 45-75 ans restent une population pour qui le virus est un vrai risque, et tant que celui-ci circulera encore aussi largement, on ne pourra pas reprendre une vie normale ou abandonner les masques. Mais on pourra sans doute lever certaines contraintes, pour les magasins, les musées ou le couvre-feu. Sauf, bien sûr, si la circulation des variants anglais et sud-africains change la donne et accélère les contaminations, auquel cas la situation restera préoccupante jusqu’à ce que les plus de 45 ans aient été vaccinés, ce qui se fera sans doute d’ici l’été. 

 

Propos recueillis par J.B.

 

1. Les cytokines sont des hormones du système immunitaire.

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