Il n’a plus la voix grave et assurée de ses grandes années, mais il a conservé son franc-parler. Invité le 31 janvier dernier sur le plateau du journal télévisé de Laurent Delahousse, Bernard Tapie, aujourd’hui âgé de 78 ans, déplore la situation catastrophique des étudiants français, contraints de faire la queue pour recevoir l’aide alimentaire. « Je m’adresse à ceux de mon âge, s’emporte alors l’ancien ministre et homme d’affaires. Est-ce que vous êtes prêts à ce que les jeunes sacrifient leurs vies pour nous protéger ? »

Cette question a déjà des airs de vieille rengaine dans le débat qui entoure l’épidémie : faut-il sauver coûte que coûte les vies des grands anciens, les plus touchés par la maladie, au prix d’un blocage de la société dont les plus jeunes sont les premières victimes, morales et financières ? Doit-on boucher l’avenir de toute une génération pour offrir quelques semaines, quelques mois de bonus à ceux qui ont déjà un pied dans la tombe ? La réalité froide des chiffres est sans appel : l’âge moyen des victimes du Covid est de 85 ans. 93 % des personnes décédées ont plus de 65 ans. Et pour les 7 % restants, plus des deux tiers présentaient une comorbidité. Autrement dit, les mesures sanitaires ne seraient que des pis-aller pour prolonger la vie de ceux que l’existence aurait déjà condamnés.

Mais est-ce si simple ? Quand on évoque la valeur d’une vie, peut-on se satisfaire de ces calculs d’apothicaires ? Alors que la lassitude gagne du terrain plus vite que la vaccination, ce numéro du 1 revient sur l’état de ces deux générations unies dans le désarroi. D’un côté, une jeunesse démoralisée, privée aussi bien de loisirs que de possibilités d’étudier ou de se lancer dans la vie professionnelle. De l’autre, un troisième âge isolé, à l’autonomie réduite, délaissé au nom de son propre bien. Entre les deux, le pays avance sur un fil, dans un exercice de funambulisme où chaque excès est un abîme. S’affranchir des règles sanitaires, c’est risquer l’explosion du nombre de cas et une hécatombe parmi les anciens, mais aussi chez les quadras et les quinquagénaires, que la maladie n’épargne pas. Resserrer encore la vis, c’est plonger un peu plus la jeunesse dans un état de détresse matérielle et psychologique, dont les effets continueront à se faire sentir bien après la fin de l’épidémie. Le chemin est étroit, périlleux. À moins que le dilemme actuel ne puisse être posé en d’autres termes. Car réduire le débat à un choc des générations, c’est aussi en gommer certaines aspérités, détourner l’attention d’autres variables, géographiques ou sociales, au moins aussi déterminantes. Dans cette crise, comme dans toutes les autres, les premiers sacrifiés sont d’abord les plus vulnérables. 

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