Villeneuve-le-Roi (Val-de-Marne). En cet après-midi d’octobre, la ville de près de 21 000 habitants semble plutôt calme. Les petits pavillons aux façades ornées de lierre se succèdent, on joue à la pétanque dans les parcs ou l’on sirote son café dans un bar-tabac. Tranquillité pourtant vite perturbée par le fracas que provoque le décollage d’un avion depuis l’aéroport d’Orly, collé à la ville. Au bout de quelques minutes, un autre. Puis un autre encore. En levant la tête, on distingue précisément le modèle et la compagnie aérienne de l’aéronef.

Le bruit des avions, Rui, Villeneuvois depuis 1967, s’en est accommodé. « On s’y fait. Et les modèles d’avions des années 1960, comme le Boeing 707 ou la Caravelle, étaient bien plus bruyants que ceux d’aujourd’hui – jusqu’à faire trembler les murs ! », raconte-t-il entre deux lancers de boule. « Ça ne change pas nos vies », ajoute le retraité, s’interrompant pourtant le temps du passage d’un avion, dont le son masquait ses paroles. Aux alentours de la gare RER, Massinissa, chauffeur de taxi parisien installé à Villeneuve-le-Roi depuis trois ans, partage ce constat : le vacarme des avions qui décollent, on s’y habitue.

 

Un défi sanitaire majeur

 

Les effets des nuisances sonores des transports sur la santé sont pourtant documentés depuis plusieurs années par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui reconnaît le bruit comme deuxième facteur environnemental provoquant le plus de dommages sanitaires en Europe, derrière la pollution atmosphérique. Au sein de l’Union européenne, plus de 100 millions de personnes se trouveraient ainsi exposées de manière chronique à des niveaux préjudiciables à la santé humaine en raison du trafic routier, aérien ou ferroviaire. « Dans sa directive de 2018, l’OMS reconnaît notamment les perturbations du sommeil, certaines maladies cardiaques, la dégradation des performances cognitives chez les enfants incluant des difficultés dans l’apprentissage et la mémorisation en raison de la gêne due au bruit », explique Anne-Sophie Evrard, chargée de recherche en épidémiologie à l’université Gustave-Eiffel. D’autres effets s’ajoutent, qui ne figurent pas encore dans la liste officielle de l’OMS mais qui ont été validés ou émis comme hypothèses par des études scientifiques : les risques d’obésité, de développement de diabète de type 2, de dépression, d’anxiété… 

Le bruit, un enjeu sanitaire majeur ? En France, 9,8 millions de personnes seraient affectées par une forte gêne et 3,3 millions par d’importantes perturbations de leur sommeil liées au bruit des transports. Sur le podium des régions les plus touchées, l’Île-de-France. « On n’a pas beaucoup d’éléments de comparaison, mais la densité de population y est plus forte, les infrastructures routières terrestres nombreuses, de même que les réseaux ferrés, et la région dispose de trois aéroports internationaux », explique Fanny Mietlicki, directrice de Bruitparif, l’observatoire du bruit en Île-de-France. En moyenne, un habitant de la zone dense francilienne perdrait treize mois de vie en bonne santé du fait de son exposition au bruit des transports.

Face à ce constat, de nombreuses mesures importantes ont été prises depuis la fin des années 1990 pour protéger les habitants du bruit. En 2002, une directive européenne oblige les États membres à réaliser des cartes de bruit stratégiques et des plans d’action, appelés en France Plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE), destinés à lutter contre les nuisances sonores et à protéger les zones calmes. En 2009, la loi d’orientation des mobilités consacre l’expression « pollution sonore », qui remplace celle de « nuisance sonore ». Un changement terminologique qui cristallise une véritable prise de conscience des effets du bruit sur la santé, selon Fanny Mietlicki. En 2021, un rapport de l’Ademe (Agence de la transition écologique) et du Conseil national du bruit estime le coût social du bruit en France à 147,1 milliards d’euros par an. 

 

Innover, mais surtout agir à la source

 

Une fois ce constat établi, que faire, concrètement, pour réduire ces bruits ? La circulation des véhicules routiers étant une source importante de nuisances sonores – plus de 22 millions d’habitants, concentrés dans une vingtaine d’agglomérations françaises, seraient exposés au bruit routier d’après un rapport de Santé publique France de 2019 –, une partie de la solution résiderait dans l’installation, sur les autoroutes et départementales proches des zones densément peuplées, de revêtements de chaussée avec des matériaux poreux qui absorbent les sons. « La modération de la vitesse de circulation est aussi efficace. Passer de 70 à 50 kilomètres-heure permet de gagner 2 à 3 décibels, ce n’est pas rien ! », affirme Fanny Mietlicki. À Villeneuve-le-Roi, le maire et son équipe ont limité la vitesse de circulation à 30 kilomètres-heure dans un quartier résidentiel, contre 50 auparavant. Des radars ont aussi été installés sur plusieurs axes routiers passants afin de déterminer le volume sonore que les véhicules ne pourront plus dépasser. Pour limiter le bruit ferroviaire, qui toucherait plus de 2 millions d’habitants dans les grandes agglomérations, toujours d’après le rapport de Santé publique France de 2019, des murs antibruit peuvent être aménagés, comme à Villeneuve-le-Roi, mais une grande partie des solutions repose sur l’innovation technologique, avec du matériel roulant et une disposition des rails moins bruyants. 

 

« C’est une machine à tuer, ici, on perd jusqu’à 32 mois de vie en bonne santé »

 

Mais quel dispositif protège les résidents du bruit des avions ? Car c’est bien de l’avion que provient la principale source de nuisances sonores à Villeneuve-le-Roi. « C’est une machine à tuer, ici, on perd jusqu’à 32 mois de vie en bonne santé », s’exclame le maire Didier Gonzales (LR). Selon Bruitparif, 480 000 Franciliens seraient exposés à des niveaux de bruit dépassant au moins le seuil réglementaire fixé pour le bruit aérien. Depuis 1975, le plan d’exposition au bruit (PEB) oblige notamment les municipalités situées aux alentours de l’aéroport Paris-Orly à ne pas construire de nouveaux logements dans certaines zones. « Cette solution, souligne l’élu, également conseiller en charge de la lutte contre les nuisances sonores à la métropole du Grand Paris, est peut-être efficace lorsque l’aéroport est situé dans une zone peu dense, voire avant sa construction, mais quel sens a-t-elle lorsqu’elle est plaquée sur un territoire urbain très dense, comme ici, où l’aéroport d’Orly s’est implanté ? » Cette mesure, toujours selon Didier Gonzales, paupériserait la zone : « L’interdiction de construire rend la zone moins attractive et favorise le développement de marchands de sommeil et donc de logements insalubres. » De nombreuses études ont également démontré que le bruit est un facteur qui renforce les inégalités sociales, les populations les plus exposées étant généralement plus défavorisées. À cela s’ajoute la mise en place d’une aide à l’insonorisation pour les riverains des aéroports Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Le-Bourget et Paris-Orly, prise en charge par le groupe ADP (Aéroports de Paris) et financée par la taxe sur les nuisances sonores aériennes payée par les compagnies du secteur, mais jugée complexe et peu efficace. Alors que faire ? La solution, selon l’édile, consiste d’abord à réduire le bruit à sa source. Actuellement, un couvre-feu, instauré en 1968, interdit le trafic aérien de 23 h 30 à 6 heures du matin. Mais ce n’est pas suffisant, estime Didier Gonzales. « L’OMS recommande de dormir huit heures consécutives toutes les nuits. Ce couvre-feu en comprend moins de sept, sans compter les avions retardataires qui atterrissent plusieurs minutes trop tard », explique-t-il. En mars dernier, une pétition transpartisane rassemblant plus de 200 élus exhortait le ministre des Transports d’alors, Patrice Vergriete, à étendre le couvre-feu de 23 heures à 6 heures du matin.

 

Retrouver les sons de la nature

 

Au-delà des sources d’émission du bruit, la lutte contre la pollution sonore passe par les politiques urbanistiques et la conception même des bâtiments. « Un architecte doit toujours analyser l’environnement sonore avec finesse, et prendre en considération les voies de transport et les zones d’activités environnantes, comme les usines et les ateliers, dans l’orientation de son édifice », explique l’architecte et maîtresse de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon Cécile Regnault. Ce qu’a encouragé Didier Gonzales, en implantant des bâtiments à côté de la gare RER de sa commune, et en les orientant de telle sorte qu’ils soient dos à la ligne de chemin de fer. Les pièces de vie sont ainsi isolées du bruit du passage des RER par le couloir qui relie entre elles les habitations et par un mur en pouzzolane, minéral qui absorbe le bruit. Pour Cécile Regnault, en effet, le choix des matériaux est crucial : « Pour contrer les basses fréquences, il faut de la masse, donc des murs épais et lourds, faits de pierre, de béton ou de brique, par exemple. » Ces isolants jouent un rôle clé dans la protection contre les bruits de voisinage, qui incluent ceux qui proviennent d’activités professionnelles ou de chantiers.

Le bruit peut donc être réduit à la source, mais aussi véhiculé de manière plus ou moins vertueuse selon la façon dont sont aménagés les espaces. « Les zones végétales, lorsqu’elles sont assez épaisses, peuvent contribuer à faire émerger un nouvel environnement sonore en lien avec la biodiversité – du chant des oiseaux au bruissement des feuilles », note l’architecte. Le silence absolu n’est pas toujours l’effet recherché. « Un printemps sans oiseaux peut être très inquiétant et une ville silencieuse peu conviviale. Nous cherchons donc davantage à créer des ambiances sonores qui sont adaptées au type d’espace occupé », indique l’urbaniste Théa Manola, directrice du Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain (Cresson) à Grenoble. S’il existe des seuils au-delà desquels le bruit a des effets néfastes sur la santé, évalués par l’OMS à 45 décibels A – l’unité utilisée pour mesurer les bruits environnementaux, selon l’indicateur Lden (pour Level day-evening-night), qui représente le niveau de bruit moyen pondéré au cours de la journée en donnant un poids plus fort au bruit produit en soirée et durant la nuit –, le bruit n’est pas uniquement mesurable, il est aussi qualifiable par l’expérience sensible, rappelle la chercheuse. Certains sons peuvent aussi servir de marqueurs temporels : les cloches qui sonnent, un bus qui s’arrête, peuvent être, selon Cécile Regnault, autant de « donneurs de temps » pour des habitants. Tout l’enjeu consiste alors à déterminer la manière dont le son, s’il n’est pas nocif, s’intègre à notre environnement. 

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