« Celui qui veut frauder n’aura nulle part où se cacher », proclame haut et fort l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les paradis fiscaux ont été mis au pas. L’heure est aux principes de transparence, à la punition des délinquants fiscaux, à l’échange d’informations et à la coopération au sein du G8 comme du G20. Dans les milieux bancaires comme dans les chancelleries, quel que soit l’interlocuteur, le leitmotiv revient inlassablement. 

Pourquoi, dans ces conditions, le réseau de recherche anti-­évasion fiscale Tax Justice Network affirme-t-il qu’en dépit du tour de vis réglementaire opéré depuis 2008, les places financières extraterritoriales continuent de prospérer à l’abri des regards ?

En effet, l’atlas mondial de l’argent offshore demeure tout aussi impressionnant qu’avant la tourmente des subprimes. Cet empire sur lequel le soleil ne se couche jamais est composé d’une soixantaine de territoires regroupés en quatre zones.

L’Europe continentale, d’abord, comprend pêle-mêle la Suisse, le Luxembourg, les ­Pays-Bas, ­l’Autriche, Monaco, le Liechtenstein – encore que tous ces pays n’aient pas exactement les mêmes pratiques. Pour sa part, la France tolère la minuscule principauté offshore ­d’Andorre sur laquelle elle assure la co-souveraineté avec l’Espagne. 

Ensuite, l’espace britannique, le plus important, incluant autour de la City de Londres les territoires de la Couronne ou les ex-colonies : Caïmans, îles Anglo-Normandes, îles Vierges, Gibraltar, Hong Kong, Irlande ou Dubaï. Tertio, l’espace américain, centré sur Wall Street, le Delaware, le Wyoming et la Floride – trois États aux règles particulières – auxquels s’ajoutent les protectorats éloignés, îles Vierges américaines, Samoa, îles Marshall ou Panama. Enfin, les autres, essentiellement des confettis du Pacifique placés sous l’égide de l’Australie (Vanuatu, Nauru) ou de la Nouvelle-Zélande, (îles Cook, Niue).

Faute de données fiables, il est impossible d’estimer l’importance des fonds qui transitent par le système offshore. 

Que font les banques internationales dans les paradis fiscaux ? Comment expliquer la présence persistante des plus grands établissements financiers dans ces lieux ?

Tout d’abord, les paradis fiscaux continuent de servir de rabatteurs de capitaux approvisionnant les grands centres mondiaux en liquidités. L’argent collecté à Gibraltar, à Macao ou à Monaco, n’est pas détenu dans les coffres-forts des établissements financiers du cru, mais transféré dans les banques de la City, de Wall Street ou de Singapour. C’est grâce à ces gares de triage que les centres financiers de renom ont pu par exemple faire fructifier à leur avantage les pétrodollars proche-orientaux, les fonds des oligarques russes, des armateurs grecs, des entrepreneurs indiens et chinois ou, plus récemment, des nantis fuyant la crise de l’euro. Dans ce jeu de l’oie planétaire, tous les coups sont permis. 

Comme l’attestent les scandales HSBC-Suisse ou LuxLeaks, l’évasion fiscale, baptisée pudiquement « optimisation fiscale », au profit des multinationales et des grosses fortunes privées est une autre raison d’être des paradis fiscaux.

Ainsi, pour payer le moins d’impôts possible, les multinationales peuvent utiliser ces places offshore pour jouer sur le prix des échanges de biens entre la maison-mère et les filiales. Afin d’alléger l’impôt, les profits sont alloués aux entités créées dans les paradis fiscaux à faible taxation sur les bénéfices des sociétés. Quant aux coûts, ils sont domiciliés dans les pays à haute fiscalité pour gonfler les frais généraux. Le tour est joué en toute légalité.

En vue de faciliter ces opérations d’alchimie comptable, les banques, les cabinets d’avocats ou les commissaires aux comptes montent au profit de ces groupes internationaux des entités idoines appelées ­special purpose vehicle (SPV). Ces « coquilles vides » destinées à structurer les transactions abritent tout et n’importe quoi, avions en leasing, coentreprises pétrolières et toute autre enseigne voulant éviter la double taxation. Quand l’opération est terminée, la SPV s’autodétruit et disparaît. Les économies colossales réalisées sur les impôts payés permettent d’ajouter de la valeur à l’actionnaire en réduisant les coûts et en augmentant le dividende ni vu ni connu.

Les sanctuaires anglophones sont aussi le repaire des hedge funds du monde entier dont un bon tiers est immatriculé aux îles Caimans. Ces fonds spéculatifs sont très peu taxés et disposent en toute liberté d’importants effets de levier. Mais, dans les paradis fiscaux, il s’agit de firmes fantômes abritées dans un bureau d’avocats ou d’experts-­comptables. En revanche, le siège et les salles de marchés sont principalement installés à Londres ou à New York.

Autre spécialité de l’industrie offshore, la création de « trusts » permettant à un détenteur de biens de les confier à un tiers, le trustee, au profit de bénéficiaires. Ces structures de préservation du patrimoine propres aux pays anglo-saxons totalement opaques permettent de fuir le fisc dans la mesure où le bénéficiaire ultime n’est pas connu. Les deux îles anglo-normandes de Jersey et de Guernesey sont le royaume de ces trusts, entités à la fois légales et virtuelles.

L’économie offshore a joué un rôle pivot dans la crise financière de l’automne 2008. Les produits toxiques subprimes étaient en effet souvent domiciliés dans des paradis fiscaux. Depuis lors, les autorités internationales ont pratiqué une sévère re-­réglementation des circuits financiers. Reste que, dans la réalité, ces zones extra­territoriales demeurent plus que jamais l’un des trous noirs de l’économie mondiale.  

 

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