Les dictons ont la vie dure. L’argent n’aurait pas d’odeur ? Faux ! L’argent a une odeur, et une sacrée odeur, surtout l’argent dont on ne voit pas la couleur. Voilà la ­réalité. Il sent la drogue et les armes, la prostitution ou les psychotropes. Ces tours de passe-passe qui transforment le sordide en richesses, on les connaît depuis L’Argent de Zola (1891). Sur fond de scandale de Panama et de krach financier, son héros Aristide Saccard, d’abord ruiné, se refait une santé en exploitant la crédulité des gogos à coups de rumeurs distillées sur les feuilles d’une presse vénale. L’appât du gain ressemble au tango : c’est une danse qui se pratique à deux. Celui qui rêve de fortune et celui qui s’enrichit sur les rêves du rêveur. Jacques Rouffio l’avait raconté avec une belle cruauté dans Le Sucre, un film de 1978 où l’aigrefin Depardieu faisait miroiter au pauvre Jean Carmet d’immenses gains spéculatifs. Il lui suffisait d’investir l’héritage de sa femme dans le sucre et il verrait ce qu’il verrait. Inspiré de la grande crise du sucre qui conduisit à la fermeture du marché à terme de Paris en 1974, ce drame montrait comment un mécanisme complexe d’achats de sucre fictifs, fondé sur des risques de pénurie inventés de toutes pièces, causait le désastre et la ruine. « Mais c’est petit chez moi », s’inquiétait Carmet quand Depardieu le poussait à acheter un lot de 50 tonnes. Il n’avait pas ­compris qu’il achetait du papier, du vent, du rêve, de l’immatériel. L’argent du sucre avait l’odeur et la couleur des paradis artificiels. 

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