Riche puis ruiné, l’homme d’affaires Aristide Saccard a fondé la Banque universelle pour investir au Moyen-Orient. Il lui faut attirer des capitaux, séduire des milliers de petits porteurs…

 

" Qu’est-ce que vous me chantez là ? Je ne veux pas leur demander onze cents francs, à aucun prix ! Ce serait vraiment trop bête et trop simple… Comprenez donc que, dans ces questions de crédit, il faut toujours frapper l’imagination. L’idée de génie, c’est de prendre dans la poche des gens l’argent qui n’y est pas encore. Du coup, ils s’imaginent qu’ils ne le donnent pas, que c’est un cadeau qu’on leur fait. Et puis, vous ne voyez pas l’effet colossal de ce bilan anticipé paraissant dans tous les journaux, de ces trente-six millions de gain annoncés d’avance, à toute fanfare !... La Bourse va prendre feu, nous dépassons le cours de deux mille, et nous montons, et nous montons, et nous ne nous arrêtons plus ! »

Il gesticulait, il était debout, se grandissant sur ses petites jambes ; et, en vérité, il devenait grand, le geste dans les étoiles, en poète de l’argent que les faillites et les ruines n’avaient pu assagir. C’était son système instinctif, l’élan même de tout son être, cette façon de fouailler les affaires, de les mener au triple galop de sa fièvre. Il avait forcé le succès, allumé les convoitises par cette foudroyante marche de l’Universelle : trois émissions en trois ans, le capital sautant de vingt-cinq à cinquante, à cent, à cent cinquante millions, dans une progression qui semblait annoncer une miraculeuse prospérité. Et les dividendes, eux aussi, procédaient par bonds : rien la première année, puis dix francs, puis trente-trois francs, puis les trente-six millions, la libération de tous les titres ! Et cela dans le surchauffement mensonger de toute la machine, au milieu des souscriptions fictives, des actions gardées par la société pour faire croire au versement intégral, sous la poussée que le jeu déterminait à la Bourse, où chaque augmentation du capital exagérait la hausse ! "

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