N’est-il pas temps de changer de perspective sur la richesse et la pauvreté ? Les chiffres de la catastrophe environnementale sont accablants et démontrent combien nous allons dans le mur par l’appel constant à la production et au consumérisme. En valorisant l’abondance matérielle, nous avons abîmé irrémédiablement le monde, compromis les formes élémentaires de la vie future et dégradé les conditions de vie actuelles d’une partie considérable de la population. Les personnes les plus riches en France consomment deux fois et demie plus que les plus pauvres, et ce chiffre se duplique dans tous les pays du monde, selon des proportions souvent plus importantes. En Afrique de l’Est, un projet d’oléoduc de TotalÉnergies produira, selon les experts, 25 fois les émissions annuelles combinées de la Tanzanie et de l’Ouganda, les deux pays concernés. Aux États-Unis, les lumières de Noël consomment plus d’énergie qu’un pays comme l’Éthiopie. Si trop de pauvreté tue, trop de richesse tue également d’une autre manière.

Or, nous persistons tellement à considérer la richesse comme le désirable par excellence que la pauvreté est toujours interprétée comme une tare. La vie pauvre, en étant regardée comme une pauvre vie, n’est jamais vue positivement. Et pourtant, la pauvreté qui abîme et fait mal est bien le produit de la richesse. Les mémoires sur le paupérisme du début du XIXe siècle, comme ceux de Tocqueville et de Buret puis de Marx, l’observèrent in situ dans les grandes industries, lesquelles produisaient dans le même temps la richesse des uns et la misère de tous les autres.

Si trop de pauvreté tue, trop de richesse tue également d’une autre manière

Dès lors, il vaut la peine de se demander si nous n’avons pas intérêt à devenir collectivement tous plus pauvres, c’est-à-dire à entrer dans un cycle raisonné de production et de consommation, avec des écarts de salaires régulés sur une échelle qui serait à discuter collectivement. Plus personne ne semble s’en émouvoir mais, aux États-Unis, le revenu moyen des patrons est 354 fois plus élevé que celui des salariés. Ce rapport est de 206 en France, de 67 au Japon et de 48 au Danemark.

Est-il donc impensable de s’inspirer de modes de vie qui, sur le plan énergétique et de la consommation fossile, sont nettement moins lourds que les autres ? Est-il donc aberrant de penser que, sous certaines conditions, l’Afrique représente l’avenir et l’Amérique le passé ? En France, l’idée serait aussi de s’inspirer de la pauvreté vécue et des mouvements qui soutiennent l’agentivité des pauvres – leur pouvoir d’action –, comme ATD Quart Monde. Sans l’idéaliser mais en la pensant comme une forme de sobriété imposée et comme une expérience de vie que la société aurait tout intérêt à valoriser. Des habitudes comme le sens du recyclage, la capacité à trouver des denrées, à s’entraider, à faire soi-même, à s’adapter à des contraintes puissantes et diverses représentent des réflexes résolument pertinents pour faire face au choc écologique actuel et à venir.

Mais il faut pour cela accepter une révolution mentale : cesser de voir la société comme le remède à la pauvreté – par le biais d’institutions de protection par ailleurs absolument nécessaires – et considérer la pauvreté comme un remède pour la société. Certes, il y a pauvreté et pauvreté, celle qui tue et celle dans laquelle on survit – et le plus souvent la frontière entre les deux est infime. Certes, cette expérience-là se fait le plus souvent aux frontières de l’humain. Mais n’y a-t-il pas à entendre les voix de celles et de ceux qui vivent peut-être déjà dans le monde de demain ? 

Vous avez aimé ? Partagez-le !