La pratique religieuse dans notre commune connaissant une baisse préoccupante, le mendiant a quitté le porche de l’église pour élire domicile devant la porte de la boulangerie. C’était bien vu, car tout le monde ici marche à la baguette, même les plus solides piliers de sacristie. Assis sur un carton à même le sol, l’homme dit bonjour à chaque passant, en le gratifiant d’un sourire édenté. Faut-il se contenter de lui rendre son salut ou déposer une pièce dans sa sébile ?

Les mendiants ne risquent plus d’être fouettés en public ou envoyés aux galères, comme au début du XVIIe siècle. Leur activité a même été dépénalisée en 1994. N’est plus punie que l’organisation de la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit. Et seuls les maires peuvent interdire de faire la manche. Encore doivent-ils démontrer que cette atteinte à la liberté d’expression, de commerce et de mouvement trouble l’ordre public.

Le quémandeur installé devant notre boulangerie ne fait, lui, qu’apporter du désordre dans nos esprits. « Le monde souffre de ne pas avoir assez de mendiants pour rappeler aux hommes la douceur d’un geste fraternel », faisait dire Marcel Aymé à l’un des personnages de Clérambard. Mais cette pièce de théâtre était une farce malicieuse sur la conversion à la charité d’un despote domestique…

Devant la boulangerie, tout le monde est mal à l’aise. Le mendiant, probablement gêné ou honteux d’organiser cette mise en scène. Les passants, surtout, chez qui les sentiments se bousculent : pitié, compassion, culpabilité, agacement, impression d’être harcelé, voire escroqué… Donner une pièce ? Ne pas donner ? En faisant l’aumône, on ne sait pas si on soulage la misère ou sa mauvaise conscience, si on aide un mendiant ou si on conforte la mendicité. Baguettes et brioches n’ont pas tous les jours le même goût. 

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