Les Restos du cœur à la rencontre de la précarité en zone rurale
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Pontacq, Pyrénées Atlantiques. Sous de hautes arcades, dans la jolie salle municipale où se déroulent de temps à autre des réceptions avec petits fours, impossible de louper les caisses remplies de pâtes, de biscuits et de conserves qui s’alignent sur de longues tables. Mais, de l’extérieur, la présence des Restos du cœur dans cette petite ville de Pontacq est difficilement détectable en ce mardi matin. Le va-et-vient des personnes venues chercher un lot de nourriture auprès de l’association se confond avec celui des quelques retraités sortis acheter baguette et bavette dans les commerces voisins.
La distribution alimentaire, organisée ici toutes les deux semaines, passe inaperçue – et c’est bien l’objectif. Dans cette bourgade de 2 800 âmes calée au pied des Pyrénées, à quelques encablures de Lourdes, tout se sait très vite ; les nouvelles fusent le samedi, jour de marché, ou le dimanche, derrière la main courante du stade de rugby.
L’arrivée de l’association caritative pour ces permanences est récente – début 2022 – et se veut discrète. Le camion des Restos, dans lequel les bénévoles apportent les denrées, a même été banalisé pour ne pas attirer l’attention. « En milieu rural, la discrétion est une problématique à prendre en compte. Le premier pas pour demander de l’aide est toujours difficile à faire, et il l’est encore davantage dans les petites communes, loin de l’anonymat des villes », avertit Jacky Neel, responsable des bénévoles de l’association dans les Pyrénées-Atlantiques (AD64). Elle fait partie des bénévoles cadres qui, il y a quelques mois, ont lancé les premiers centres itinérants des Restos du cœur dans ce département du Sud-Ouest. Ils ciblent les zones identifiées comme « blanches » depuis plusieurs années : celles où les offres d’aide sont inexistantes et où monter un centre fixe est compliqué – souvent par manque de local ou de bénévoles.
Pallier l’absence de mobilité
« Nous avons lancé des centres itinérants dans toute la France pour tenter de mailler le plus possible le territoire. Soixante existent déjà et on atteindra les soixante-dix d’ici la fin de l’année, abonde Eymeric Sudreau, responsable du pôle Communication au siège parisien des Restos. L’idée est de pallier le problème de mobilité de certaines personnes, que ce soit en raison de leur âge, de l’absence de moyen de locomotion ou de la flambée des prix du carburant. On est conscient que la ruralité souffre de fractures économiques aussi bien que numériques, et que cela risque de s’aggraver. »
Dans l’ensemble de leurs centres, depuis le début de l’année, les Restos du cœur ont enregistré 12 % de fréquentation de plus, notamment à cause de l’inflation. Et cette précarité croît aussi dans les campagnes, loin de la présence des services sociaux ou des associations, et souvent à l’abri des regards. « En début d’année, lorsque nous avons instauré ce centre itinérant dans quatre communes excentrées à l’est des Pyrénées-Atlantiques, on comptait quatre bénéficiaires. Aujourd’hui c’est plus d’une trentaine », assure Jacky Neel. Et ils seront assurément plus nombreux dans les mois à venir, à force de bouche-à-oreille et grâce au relais des mairies, assistantes sociales, infirmières… mais toujours dans la discrétion.
La facture d’énergie prise en compte
Autour des cageots de légumes frais, dans ce petit nid de solidarité béarnais, les profils sont variés, avec une majorité de femmes seules, certaines avec enfants à charge. Les bénévoles ont aussi vu affluer une dizaine de familles ukrainiennes cette année, la plupart reparties au pays depuis.
À l’instar de ces réfugiés rattrapés par la guerre, d’autres habitants de Pontacq se sont laissé surprendre par la pauvreté. Ils ne pensaient pas avoir un jour besoin de demander de l’aide, dans leur coin de campagne. Mais les coups durs y surviennent aussi, et l’arrivée des Restos à leur porte s’est avérée un soulagement.
Avant de repartir avec leur premier panier, les demandeurs doivent indiquer quelles sont leurs ressources. « Nous enregistrons nous-mêmes les dossiers pour estimer l’aide à laquelle ils ont droit, en fonction d’un barème établi par l’association nationale. Depuis cette année, en raison de l’explosion des coûts de l’énergie, nous leur demandons aussi de nous amener leur facture de gaz et d’électricité. Elle est prise en compte dans les charges, en plus de leur loyer », explique Marie-Laure, une des bénévoles à Pontacq.
« Loin de l’anonymat des villes, la discrétion est une problématique à prendre en compte »
Nicole, 71 ans, une enfant de la commune, a franchi la porte en début d’année, difficilement, avec un peu de honte. Sur les conseils de sa belle-fille, après une séparation. Elle y vient désormais emplie de bonne humeur et soigneusement maquillée pour charger son panier de provisions. Elle en profite pour papoter un moment avec les bénévoles, tout en redoutant de croiser ici « la commère du village ». « Mais de toute façon, avec ma petite retraite de 800 euros, complémentaire comprise, cette aide alimentaire j’y ai droit, je le sais. Et soyez sûre que je ne gaspille rien ! se justifie-t-elle. J’ai travaillé toute ma vie : ici, dans l’industrie textile avant d’aller me casser le dos dans l’hôtellerie à Lourdes lorsque les ateliers ont fermé. »
Virginie, elle, ne se justifie plus. Cette année, pour la première fois, cette quinquagénaire a connu la rue à Pontacq, obligée de squatter chez une copine et dans un immeuble désaffecté. Alors, dès qu’elle a appris l’arrivée des Restos, elle leur a présenté son dossier et vient désormais s’approvisionner tous les quinze jours. « Je suis au RSA et, sans ça, je ne mange pas grand-chose de plus que du riz et des pâtes. Au moins, dans les colis que nous donnent les Restos, il y a des pâtés que je ne pourrais pas me payer autrement, des produits d’hygiène qui coûtent cher. Et puis ils sont sympas, il y a toujours un petit quelque chose en plus, pour faire plaisir. » Ce mardi matin, c’est une belle boîte de chocolats – l’hiver approche…
Limiter la fracture numérique
Tout en remplissant les sacs des bénéficiaires, Marie-Laure, Jean-Louis et Christophe, les trois bénévoles présents ce matin-là, informent sur les autres services mis en place par les Restos, au siège départemental à Pau : aide juridique, ateliers d’informatique, cours de français, dons de vêtements…
« L’idée à terme est de développer ces autres services dans les centres itinérants, pour limiter la fracture numérique, aider au retour à l’emploi, explique Eymeric Sudreau, de l’association nationale. Bien entendu, pour cela il faut des bénévoles, des ressources et des lieux d’accueil. Mais nous le faisons déjà dans certaines régions. »
L’avantage de ces centres itinérants est aussi de contourner le manque de locaux dans les communes. « Ouvrir un centre fixe des Restos du cœur, avec toutes les normes imposées, est compliqué pour les municipalités, atteste Jacky Neel, de l’AD64. Lorsque l’on a monté des centres itinérants, présents seulement une demi-journée, ça a été plus facile pour les maires de nous mettre un local à disposition. »
En cette trente-huitième campagne d’hiver, les Restos du cœur l’ont bien compris : s’adapter aux besoins des personnes les plus démunies demande aussi de s’accorder aux réalités de chaque terrain. Du manque de bâtiments disponibles au respect de la discrétion en vigueur.
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