Sur la photo avec le ministre, on n’entend pas son rire chaleureux. Mais sûr qu’il a résonné sous les ors de la République, autant pour détendre l’atmosphère que pour camoufler ses ennuis sous un vernis joyeux. « La pauvreté, c’est dans mon cœur, je veux pas que ça se voie dehors », confie Germaine Ndogami.

La sexagénaire se décrit comme « maman, mamie et personne vivant dans la pauvreté ». Ce 15 novembre, elle faisait partie de la délégation venue remettre au ministre des Solidarités le rapport annuel du Secours catholique sur la pauvreté en France. « Ça s’est très bien passé, raconte-t-elle le lendemain. On a bien dit qu’il faut augmenter le RSA. Il a été attentif. J’aimerais crier plus fort encore, pour que peut-être demain beaucoup de personnes puissent en profiter. On est des acteurs pour que ça change ! »

Pour Germaine, la « grande détresse » a duré un an. Par un retournement dont l’existence a le secret, elle se retrouve sans-papiers en France, sans ressources et aidante pour son mari malade. Survivant aux crochets de son fils et de sa belle-fille, eux-mêmes dépendants de minuscules revenus, elle passe une année « totalement isolée ». Elle réfléchit trop, le sommeil la fuit, elle perd ses cheveux… « J’étais déprimée, ça oui. » Son médecin lui prescrit des séances avec une psychologue, prises en charge par la CMU. « J’ai pu parler de tout, j’ai tout vidé. Ça m’a fait du bien, se rappelle-t-elle. Il faut prendre soin du moral des personnes pauvres. »

« Il faut prendre soin du moral des personnes pauvres »

À cette même période, elle trouve l’énergie de toquer à la porte du Secours catholique local. « J’ai été bien accueillie ! Et ils m’ont donné, je me souviens bien, 50 euros de chèques services. » Son premier achat : du saumon et des crevettes à l’Intermarché du coin. « Quand tu manges aux Restos du cœur, tu ne choisis pas ta nourriture, rappelle-t-elle. Ce jour-là je suis rentrée avec un cabas plein de courses. Ma belle-fille a dit : “Maman, tu as gagné au Loto ?!” »

À l’association, elle participe à un atelier cuisine et trouve surtout des compagnes et compagnons avec qui parler des galères du quotidien. La solitude s’estompe. « Au bout de trois mois, je me sentais mieux, physiquement et moralement, assure-t-elle. Et un beau jour, il y a huit ans, je me suis dit : “Germaine, il faut pas seulement recevoir, tu dois donner aussi.” Je suis devenue bénévole. »

Depuis, chaque mardi, elle se fait belle et part à l’association donner des cours de couture – son ancien métier. « Je montre comment coudre un bouton, comment couper un débardeur… Me sentir utile, ça aussi ça me fait du bien. »

De fil en aiguille, la bénévole devient membre du groupe « Mobilisation citoyenne » du Secours catholique dans le Rhône. Celui-ci se réunit avec d’autres associations, rencontre un maire, un député… Il y a deux ans, à la suite de ce travail de plaidoyer, le département a accordé la gratuité des transports en commun aux plus démunis. « Ça change beaucoup de choses, assure Germaine. Avant, pour aller à la CAF ou à la préfecture, à Lyon, je dépensais au moins 5 euros aller-retour. » Ces recommandations formulées par les personnes pauvres font changer d’autres choses essentielles. Elles ont permis, par exemple, la création d’une assurance obsèques – un projet des militants d’ATD Quart Monde.

« Monsieur le ministre, vous avez devant vous quatre mathématiciens ! »

À Germaine, l’expérience a enseigné l’importance de pouvoir compter sur des travailleurs sociaux compétents. « On est tombés sur une dame très gentille, qui s’est battue pour nous trouver un appartement, malgré nos tout petits revenus. Mais après, comment payer les deux mois de caution ? Elle a trouvé une structure qui s’est portée garante pour nous. Vraiment, quelqu’un qui écoute tes difficultés, ça fait toute la différence. »

Elle voit aussi une urgence à « former les jeunes et qu’ils puissent travailler, plutôt que de rester au RSA alors qu’ils sont en pleine santé ». Enfin, elle rêve qu’on écoute plus les besoins des personnes avant de les aider : « On nous envoie une dame de ménage deux fois dans la semaine en raison de la santé de mon mari. Je ne refuse pas, mais une aide financière nous serait plus utile. Pour manger équilibré, ou payer certaines factures. »

En rencontrant le ministre, Germaine Ndogami l’a fait rire à la première seconde. « Je lui ai dit : “Monsieur le ministre, vous avez devant vous quatre mathématiciens !” C’est vrai : nous, les gens vivant dans la pauvreté, on fait trop de calculs ! Il paraît qu’il faut 1 100 euros pour vivre à peu près [le montant du seuil de pauvreté, NDLR]. Alors imaginez avec 400 ou 500 euros : on ne vit pas, on survit ! »

Sa base de calcul à elle se résume à 730 euros mensuels – la somme de son RSA et des 150 euros de retraite de son mari. « Le RSA tombe le cinq du mois. Ensuite le loyer et toutes les factures partent en prélèvement automatique. Je ne veux pas avoir des enveloppes de rappel, ça me perturbe encore plus la tête. Après j’attends jusqu’au dix ou douze pour vérifier ce qu’il reste, et je vois comment arriver au cinq suivant ! » À chaque fois, la calculette affiche moins de 100 euros. Pendant son séjour à Paris, en plus du ministre, Germaine va rencontrer des députés. « Je veux leur dire qu’il n’y a pas de solution miracle, mais plein de petites choses pour arranger la situation. » Et de conclure, dans un nouvel éclat de rire : « La pauvreté c’est une maladie, et jusqu’à maintenant aucun chercheur n’a trouvé de vaccin contre ça. » 

Portrait par HÉLÈNE SEINGIER

 

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