Médecins sans frontières, pharmaciens sans frontières, ingénieurs sans frontières, architectes sans frontières… Il ne manque plus que les douaniers sans frontières. Pourquoi tant d’initiatives généreuses ont-elles adopté cette formule ? 

« Sans » est la plus négative des prépositions de la langue française. Exprimant l’absence ou la privation, elle est associée à tous les laissés-pour-compte : les sans-emploi, les sans-abri, les sans--papiers… Mais, accolée à un mot aussi vilain que « frontière », elle offre un superbe label. C’est comme en arithmétique, où le produit de deux nombres négatifs donne un résultat positif.

Aujourd’hui, le mot « frontière » évoque des murs, des barbelés, le rejet de l’étranger. Quand ce pointillé sur la carte fait figure de passoire sur le terrain, c’est la crainte de l’invasion qui resurgit.

Et s’il fallait, au contraire, bénir la frontière ? N’incarne-t-elle pas la paix ? remarque Régis Debray dans son bel Éloge des frontières (Gallimard, 2010). Ceux qui n’en veulent pas sont acculés à faire des murs. « Voyez le Proche-Orient. Tant qu’il n’y aura pas de frontière entre Israël et la Palestine, il y aura un mur. » 

L’idée de frontière n’a pas seulement permis à des peuples de se constituer en nation. Elle est à la source de la civilisation : se fixer des limites, distinguer entre le bien et le mal, séparer public et privé…

À part quelques rêveurs, quelques chantres du « village global », personne n’imagine une Europe aux portes grandes ouvertes. La question est de savoir comment se donner des frontières humaines, intelligentes. Non bornées, si l’on peut dire. 

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