La Pologne est une grande terre scientifique. Quatre cents ans avant que la future Marie Curie n’y voie le jour, c’est là qu’a été formulée l’hypothèse révolutionnaire qui sert de point de départ à la science moderne : le Soleil est au centre de l’univers. Copernic a ouvert la voie à un nouveau récit de la nature, fondé sur des faits observables, dont la fécondité ne s’est jamais démentie depuis.

Maria (Marie) naît en 1867, à une date où la Pologne a cessé d’exister comme État souverain mais certes pas comme nation. Surnommée « Mania », elle est la cinquième enfant et quatrième fille d’un couple d’intellectuels et enseignants, Wladyslaw Sklodowski et Bronislawa Boguska. Ils sont bons catholiques, ne serait-ce que pour résister au pouvoir russe et orthodoxe installé à Varsovie, mais chez eux le savoir et la science sont placés au sommet des valeurs familiales. L’harmonie sera rompue par la maladie et la mort de la sœur aînée puis de la mère alors que Maria a 10 ans à peine. La prospérité s’en va, elle aussi, quand M. Sklodowski, professeur estimé de physique et de mathématiques, perd sa place de directeur adjoint du lycée russe de Varsovie, soupçonné de patriotisme polonais par les autorités du tsar – ce qui n’empêchera pas ses enfants d’y rafler les meilleures notes dans toutes les matières, y compris le russe.

Maria Sklodowska a bien failli ne jamais devenir la savante panthéonisée Marie Curie. Les études supérieures ne sont pas ouvertes aux femmes dans l’Empire russe des années 1880. Pour permettre à sa sœur Bronislawa de partir étudier la médecine à Paris, la petite Mania, à peine sortie du lycée, s’engage comme gouvernante dans une riche famille de province. Elle qui a étudié à l’université volante, une structure clandestine pour les jeunes Polonais – avec le risque d’être déportée en Sibérie –, qui a découvert le positivisme d’Auguste Comte, se retrouve à la campagne avec un statut de quasi-domestique. Sur son temps libre, Maria enseigne le polonais aux enfants du village, lit tout ce qui lui tombe sous la main, s’amuse aussi, dans les fêtes et les bals, et tombe amoureuse de Casimir, le fils de la famille, lui-même mathématicien. Mais même de bonne famille, la jeune fille n’est pas jugée digne d’être épousée. Cette humiliation la poussera, à 24 ans, à rejoindre sa sœur à Paris pour s’inscrire à la Sorbonne. Quand Pierre Curie, physicien déjà reconnu, rencontre en 1894 cette jeune scientifique prometteuse, elle n’aspire qu’à retourner en Pologne. Elle hésitera longtemps à choisir la France en l’épousant.

Devenue Marie Curie, elle ne cessera jamais d’être fidèle à la Pologne. Elle nomme « polonium » le premier élément radioactif qu’elle découvre. Bien plus tard, elle fera cadeau à la jeune république polonaise d’un gramme de radium – le deuxième gramme de ce précieux métal à lui avoir été offert par les femmes américaines – pour y favoriser les recherches sur la radioactivité. Elle contribuera à fonder en 1932 l’Institut du radium de Varsovie, qui deviendra par la suite le centre d’oncologie-institut Marie-Sklodowska-Curie. Et lorsque, sur décision du président François Mitterrand, ses restes seront transférés avec ceux de Pierre Curie dans le caveau VIII du Panthéon à Paris, le 20 avril 1995, ce sera en présence du président polonais Lech Walesa. S.Gh.

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