Un idéal-type des élites de la Ve
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Emmanuel Macron est l’homme de tous les paradoxes. Sa jeunesse semble avoir eu pour fil directeur la fréquentation de personnalités nettement plus âgées que lui. Dans sa bouche, les expressions désuètes sont légion. La « poudre de Perlimpinpin » a surpris les citoyens les plus jeunes et intrigué les seniors. Qui est ce président incarnant le jeunisme de notre époque et si à l’aise avec le sommet de la pyramide des âges ? Le smartphone et, en même temps, la TSF ! Serait-ce là un des paradoxes moteurs du chef de l’État ?
Le plus jeune président de toutes nos Républiques successives est à la fois l’homme de la restauration de la fonction présidentielle et celui de l’affirmation de l’importance de l’horizontalité. Il adhère au mythe de la campagne online de Barack Obama avec sa forte dimension participative et, en même temps, s’attache à donner à son exercice du pouvoir une dimension monarchique. Par bien des aspects, sa communication s’inspire des préceptes édictés par Jacques Pilhan, conseiller image de François Mitterrand puis de Jacques Chirac, bien avant le règne sans partage d’Internet.
L’habileté du candidat puis du président Macron à développer la rhétorique du changement se double paradoxalement d’une propension rarement égalée à valoriser des solutions conçues par les élites techniciennes de l’appareil d’État. La présidence Macron renoue fortement avec une passion originelle de la Ve République pour la dépolitisation par l’expertise. Incarnation parfaite de l’élite de la haute fonction publique, le président entend d’abord s’appuyer sur ce monde qu’il connaît si bien. Le Parlement reste tout de même un vecteur d’incertitude dans le schéma de pensée d’un ancien inspecteur général des finances.
Emmanuel Macron est, depuis le début de son parcours jusqu’à l’Élysée, un partisan revendiqué du libéralisme économique. Son projet, tout comme ses soutiens issus de l’univers du numérique, se rapproche des perspectives nées dans la Silicon Valley. Ce capitalisme en gestation, fondé sur les nouvelles technologies et l’autonomisation de l’individu, semble pourtant avoir pour destin une forme de récupération par un État soucieux… de le réglementer. C’est un vieux paradoxe français incarné par le président de la République : l’adhésion de principe des grands commis de l’État au libéralisme économique passe par une forme d’encadrement de celui-ci.
Brièvement, le président fut, jadis, militant du Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement et Didier Motchane. Il passa au cabinet de Georges Sarre, figure du même parti et du CERES, le courant qui avait fait la charnière en 1971 au congrès d’Épinay, offrant à François Mitterrand la direction d’un Parti socialiste qui le porta à l’Élysée. Ce sont pourtant Henry Hermand, soutien indéfectible de la « deuxième gauche », et Michel Rocard, figure tutélaire de cette gauche passée de l’autogestion à la mode PSU à la gestion mode PS, qui assistèrent au mariage du jeune Emmanuel Macron avec Brigitte Trogneux. Cependant le Janus biface élyséen ne tranche jamais entre « les deux cultures de gauche ».
La vérité de la présidence Macron réside probablement dans la jonction d’un itinéraire personnel modèle, selon les critères méritocratiques français, et de la crise rampante qui frappe le régime de la Ve République. Ce dernier s’est avéré incapable, dix années durant, de susciter le consentement de groupes sociaux de plus en plus nombreux. Les partis politiques ont enregistré des revers successifs, dont les plus spectaculaires furent ceux du Parti socialiste (PS), menant à son effondrement quasi total. La « fronde » de parlementaires socialistes au cours du quinquennat de François Hollande, confinée au palais Bourbon, provoqua un traumatisme hors de proportion et ancra au sommet de l’État des velléités de substituer au parlementarisme rationalisé une relégation du Parlement.
C’est bien dans ce contexte de crise de régime qu’a surgi Emmanuel Macron. Conseiller à l’Élysée puis ministre de l’Économie, ancien élève de l’ENA et inspecteur général des finances, Emmanuel Macron incarne l’idéal-type des élites de la Ve République. Avec sa candidature et sa victoire, elles se sont simplement délestées du poids d’appareils politiques nécrosés.
Rassemblant un électorat de centre gauche et de centre droit, il se caractérise par sa volonté d’incarner une chose et en même temps une autre, entraînant ses concitoyens dans un balancement circonspect présenté comme une épopée. En vérité, face à un système partisan déliquescent, il fallait que surgisse du cœur du régime une réponse politique alliant l’apparence de la contestation et la préservation des fondamentaux de la Ve République. Toutes les équipes gouvernementales successives depuis les années 1970 sont représentées dans la campagne du candidat Macron. Dans un même département, deux adversaires férocement opposés trente années durant, ont pu faire tréteaux communs pour défendre le candidat d’En Marche !, un parti « et de gauche et de droite ».
Rocardiens, mitterrandiens, chiraquiens, giscardiens, tous ont été représentés. Alain Madelin, Jean-Paul Huchon, Dominique Perben et même Daniel Cohn-Bendit, le ludion de 68, ou Robert Hue, ancien dirigeant du PCF. Les « fondamentaux » du régime sont défendus ou restaurés : prééminence du président de la République, passion technicienne confinant à la dépolitisation, adhésion à l’intégration européenne scandée par la conférence de Messine en passant par Lisbonne, Rome, l’Acte unique, et Maastricht.
Il est cependant logique qu’Emmanuel Macron représente une chose et en même temps une autre : il rassemble les familles, cultures et projets politiques passés alternativement au gouvernement de la Ve République. Le système partisan a fait banqueroute politique. Qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron offre la totalité de l’offre gouvernementale du champ politique français aux électeurs. Mieux encore, la présidence Macron apparaît comme le syndic de défense des élites techniciennes du régime, de ces hauts fonctionnaires investis dans le perfectionnement d’un appareil d’État mû par le mythe de sa continuelle modernisation.
Les élites techniciennes sont l’objet d’une attention stratégique et politique constante d’Emmanuel Macron. Tels les maires du palais de jadis, les directeurs de cabinet, les fameux « dir cab », semblent s’être défaits d’un personnel ministériel et politique ne suscitant, au mieux, qu’une indifférence polie de la part d’un nombre croissant de citoyens. La France vient de connaître le coup de force démocratique des « dir cab ». Ils se sont adjoint les nouveaux cadres du capitalisme « californien », issus des écoles de commerce.
Au-dessus de la gauche et de la droite, il y a la Ve République : tel est le message subliminal mais central du candidat Macron. Ses élites techniciennes, aux constants rêves modernisateurs, se sont débarrassées de partis vermoulus.
Le macronisme est d’abord un retour aux fondamentaux de 1958 auxquels s’ajoute l’adaptation au prochain capitalisme. Cependant, cette addition frise la contradiction, voire l’aporie. Emmanuel Macron incarne les paradoxes de notre régime. La question n’est pas de savoir si le macronisme installera le « monde nouveau » en France mais s’il y survivra.
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