Le 21 décembre prochain, Emmanuel Macron fêtera ses 40 ans. Âge tendre pour un président français ; début de la maturité pour les autres, en tout cas une étape. Et le 21 décembre n’est pas n’importe quel jour, c’est celui du solstice d’hiver : sous nos latitudes la nuit la plus longue de l’année, suivie d’un jour où la lumière, imperceptiblement, amorce sa reconquête. Par une singulière coïncidence, celui que Michel Houellebecq, dans un entretien à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, appelle « un être étrange, insaisissable, qui ne se laisse pas déchiffrer », est né à une date elle aussi étrange. Pour les Romains, le solstice d’hiver était placé sous le signe de Janus, la divinité aux deux visages – dont dérive le mot janvier. Les deux visages de Janus bifrons sont celui d’un vieillard qui regarde vers l’arrière, vers le passé, et celui d’un jeune homme tourné vers l’avant, vers le futur. Un troisième visage, invisible aux humains, serait celui du présent. Dieu des commencements et des fins, des choix et des portes, tel est ce Janus, divinité majeure du panthéon romain. Avec la christianisation de l’Empire romain, la double figure de Janus s’est fondue dans celle de saint Jean – double aussi, avec Jean le Baptiste, précurseur de la prédication chrétienne, fêté au solstice d’été, et Jean l’Évangéliste, annonciateur de la fin des temps dans l’Apocalypse, fêté au solstice d’hiver.

Nettement plus prosaïque, l’expression macronienne « et en même temps » colle de manière cocasse avec cette symbolique solsticiale. Le président de la République est à la fois jeune et vieux, tourné vers l’avenir et lesté de références du passé – start-up et patrimoine, pour résumer. À la fois gentil, promoteur de la bienveillance, et carrément peau de vache (« la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ! », à un manifestant, pendant la campagne ; « Vous dites des bêtises, madame Le Pen ! », à plusieurs reprises, dans le débat de l’entre-deux-tours ; « Il est parti réparer la climatisation », à propos du président du Burkina Faso, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou). Plus important d’un point de vue politique, lorsqu’il se dit et se montre « en même temps » de gauche et de droite, en jouant avec virtuosité des marqueurs traditionnels, Emmanuel Macron dérègle le sonar du banc de baleines. Comment lui répondre, comment le saisir, comment l’affaiblir, comment lui échapper ? Les survivants sonnés de la classe politique d’avant, les interlocuteurs (syndicats, HLM ou élus locaux) tour à tour boxés et câlinés, voire les membres de son propre parti, collection d’hyperactifs priés et de se taire et de « faire »… tous cherchent la parade. Sans grand succès pour l’instant. Comble d’humiliation pour l’opposant le plus audible, Jean-Luc Mélenchon : devoir citer Macron afin d’être repris par les médias – « pour l’instant, il a le point » ; « Macron a mangé son pain blanc », etc. 

Et les Français, comment réagissent-ils ? Ils semblent un peu déboussolés, eux aussi. Ils ont élu il y a sept mois un nouveau venu qui proposait de tout changer. Air connu. Sauf que lui a entrepris de le faire pour de bon. Hypnotisés par le regard bleu à peine strabique qui les fixe depuis l’écran, endormis par les discours interminables du Wunderkind, ils se réveillent en sursaut quand une note plus stridente vient leur rappeler que l’heure n’est plus à roupiller : le monde change, il faut changer ! 

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