Depuis le premier jour de son élection, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de donner des gages sur les terrains de l’autorité et de l’incarnation. « Je suis votre chef », a-t-il rappelé sèchement aux militaires qui contestaient ses arbitrages, et le nouveau président veut que cela se voie. Pas un jour sans qu’une image « régalienne » ne vienne saturer nos écrans, de la séquence originelle de son discours de victoire devant la pyramide du Louvre, le 7 mai, aux déplacements présidentiels orchestrés comme autant de scènes lors desquelles le pouvoir se montre et s’affirme. Le goût présidentiel pour les costumes – on a vu Macron aviateur, standardiste, boxer, marin ou joueur de l’OM – marque probablement moins une volonté d’avancer masqué, comme le lui reprochent ses détracteurs, que sa détermination à prendre le contrepied de son prédécesseur, jugé trop faible sur le terrain de l’incarnation d’un pouvoir ferme dans lequel les Français aiment à se retrouver. Macron a compris que dans la Ve République, le président normal n’existe pas et que la désincarnation de François Hollande avait constitué l’une des maladies de son quinquennat. 

On a beaucoup glosé sur les inspirations historiques du jeune président, mobilisant à longueur d’éditoriaux le panthéon des gloires nationales : tantôt Saint Louis guérissant les écrouelles, tantôt Napoléon ou de Gaulle symbolisant l’action « en marche », Emmanuel Macron réactive également la figure archaïque du « roi très chrétien », incarnation du pouvoir spirituel sur terre. D’où le sentiment confus d’entendre par moments dans ses discours des prêches dont le ton paternaliste un peu décalé et l’appel à la bienveillance réactivent un imaginaire où se mêlent le jeune Fabrice del Dongo – le héros de La Chartreuse de Parme – dans sa période ecclésiastique, et le Léon Morin, prêtre joué par Jean-Paul Belmondo dans le film de Melville. 

On pourrait mettre cette obsession du nouveau président pour la mise en scène de son pouvoir sur le compte d’une habileté somme toute assez banale. À l’heure de la société du spectacle politique, ces pratiques, généralisées outre-Atlantique, ne surprennent plus personne. Mais l’intention d’Emmanuel Macron semble dépasser ce seul horizon. Comme dans le paradoxe du comédien énoncé par Diderot – les acteurs de théâtre nous inspirent des sentiments véritables alors même que nous savons qu’ils jouent –, l’art de la politique consiste à transmettre des émotions et des messages avec une sincérité forcément mise en scène, dont les citoyens ne sont pas dupes. « Tenir son rôle » dans un monde passionné par les héros et les personnages a été l’une des intuitions majeures d’Emmanuel Macron bien avant son élection, lui qui avait critiqué implicitement, dans ces colonnes, l’idée du philosophe Claude Lefort selon laquelle le lieu du pouvoir serait en démocratie un siège vide. 

Qu’elle séduise ou exaspère, cette pratique du pouvoir pose certaines questions. D’abord parce que la volonté d’incarner fortement la fonction présidentielle n’est pas simplement affaire de déguisements. Elle s’accompagne d’une verticalité dans l’exercice du pouvoir qui confine à l’isolement, donnant l’impression d’une France gouvernée par un triumvirat formé par le président, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et le conseiller spécial du président, Ismaël Emelien. La mise en scène du chef de l’État en surhomme rappelle en outre les débuts du quinquennat de Nicolas Sarkozy, lors desquels la fascination des médias pour l’homme providentiel avait généré dans l’opinion l’illusion de sa capacité à gérer seul tout un pays. On connaît la fin de cette histoire, et la pratique du pouvoir de l’« omniprésident » Nicolas Sarkozy lui a au moins autant coûté que les critiques sur sa personnalité. Plus grave encore, la tentation de la surincarnation, la volonté de renouer avec la figure monarchique du Prince, crée une fracture inévitable entre l’être et le faire. « Je suis le changement » n’a de cesse de répéter le chef de l’État pour marquer la rupture qu’a représentée son élection dans la vie politique française. Le principe du pouvoir en démocratie repose depuis plus d’un siècle sur l’idée communément admise que la politique est un art du faire qui passe par un mouvement collectif. Comme Barack Obama avant lui, Emmanuel Macron est d’ores et déjà appelé à demeurer dans l’histoire par son élection même et la singularité de son destin personnel. Mais le nouveau président devrait aussi se rappeler que son homologue américain, tout auréolé d’une gloire liée à son charisme hors du commun, a également beaucoup déçu les Américains par son maigre bilan. Et que l’incarnation n’est rien si elle ne s’accompagne pas de résultats tangibles, sans quoi le théâtre du pouvoir tourne à la tragédie ou à la farce. Emmanuel Macron devrait peut-être relire la critique par Rousseau de la représentation politique et de sa dimension théâtrale pour en tirer quelques enseignements. Pour l’auteur du Contrat social, l’incarnation est un artefact dangereux qui aliène la volonté générale et éloigne les citoyens de leur représentant, et non l’inverse… 

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