Le candidat Emmanuel Macron avait promis de transcender les oppositions classiques, d’absorber les différences dans un grand mouvement de ferveur nationale quasi mystique. D’inventer une politique en mouvement, « et de gauche et de droite ». Le tout « ensemble » et avec « bienveillance ». Un an après son élection, le coup de force sémantique et politique de ce projet s’avère à double tranchant. Le rêve d’harmonie pourrait bien se réduire à une volonté hégémonique. 

En se proclamant « et de droite et de gauche », Macron prétend s’abstraire des contraintes de la logique et de la linguistique. Il fait éclater la langue, les repères idéologiques et casse les concepts qui servaient à penser les antagonismes pour s’assurer un statut d’inclassable et une position de surplomb. Le « en même temps » tant glosé est une formidable OPA sur l’ensemble du champ sémantique et politique. En embrassant les contraires, le président occupe tout l’espace : il incarnera la droite et la gauche, la bienveillance et l’autorité, l’humanisme et le répressif, la cause des femmes et la virilité. Il est – lexicalement – partout. La sémantique version Macron, c’est la négation du principe même de différence inhérent à la langue ; sa politique, la mise en sourdine du pluralisme inhérent à la démocratie.

Sa rhétorique va dans le même sens : il est celui qui parle toutes les langues, celle des managers et celle de l’Académie, l’anglais des affaires et le « potron-minet » des grands-mères. Il peut à loisir écorcher la langue, l’exalter, se piquer de mots rares et jurer. Il y a une certaine hubris à se vouloir le tout de la langue à soi seul. Et quelque chose d’orwellien à déclarer que la droite, c’est la gauche ou que restreindre les conditions de l’asile, c’est de l’humanisme. Mais Macron se veut démiurge. Son idéal, c’est le créateur (d’entreprise ou d’œuvres littéraires) : « créer », « transformer » et l’omniprésent « faire » sont ses verbes fétiches. Un « faire » créateur pour « façonner de nos mains notre destin ». Macron est le narrateur de sa propre geste. Acteur, metteur en scène, théoricien, il « incarne » tous les rôles, seul face à lui-même. Tout tourne autour de son verbe, qui est action : « Je fais ce que j’ai dit », martèle-t-il, et de se citer lui-même. Le candidat avait théorisé les dangers de ce solipsisme : un engagement politique, « ce n’est pas un monologue ». Macron Jupiter ? Plutôt Narcisse. 

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