Quel premier bilan faites-vous après un an de présidence Macron ?

Sur le plan institutionnel et sur celui de la conduite du pouvoir, il a réussi son coup. Les Français s’étaient, sur ces terrains, montrés très critiques à l’égard de ses trois prédécesseurs. Un véritable manque était apparu dans l’exercice du pouvoir en France. Macron, dont on sent qu’il avait réfléchi bien avant à la posture qu’il allait prendre, a adopté une attitude ultraprésidentielle. C’est un monarque républicain, qui agit selon ses convictions. 

Et cela plaît aux Français ?

D’après une récente enquête du Cevipof, plus de sept Français sur dix lui reconnaissent cette qualité : avoir des convictions et savoir les imposer. C’est un retour aux sources de la Ve République. Il n’allait pas de soi qu’un homme de 39 ans puisse être comparé à de Gaulle dans la gestion des institutions ! Mais, s’il y est parvenu, c’est avec des excès. Il dégage une satisfaction trop évidente de lui-même dans ce rôle, le plus invraisemblable étant son entretien à La NRF où il déclare donner aux Français le romanesque dont ils ont besoin… On peut dire ça d’un autre, mais de soi ! Il affiche l’arrogance technocratique de qui sait ce qu’il faut faire sur chaque dossier.

Au regard de la promesse qu’il portait, quels sont ses manquements ?

Pendant la campagne, il avait beaucoup utilisé les mots « citoyen », « démocratie », « ensemble ». Tout cela a disparu. Ce qui n’était pas contenu dans son discours de candidat, c’était sa critique permanente des corps intermédiaires, partis, syndicats, médias. Cela donne au début de son mandat une allure bonapartiste, plus que gaullienne. On attendait une ouverture démocratique et citoyenne des institutions. Or, dans le projet de réforme constitutionnelle qu’il porte, c’est la première fois qu’on réduit les droits du Parlement. Depuis quarante ans, les Français ont montré un attachement constant à deux points-clés : d’abord, qu’on ne leur enlève pas l’élection du président au suffrage universel ; ensuite, que les pouvoirs du Parlement soient accrus. J’ajoute qu’ils sont plus que jamais en demande de participation aux décisions qui les concernent. Macron s’était engagé sur ce point, provoquant un certain enthousiasme dans ses meetings quand il laissait entrevoir qu’on allait « tous ensemble » participer à cette aventure. Le « tous ensemble » est devenu « moi Jupiter ». 

Les ordonnances assouplissant le Code du travail sont-elles un acte d’autorité exagérée ?

L’essentiel avait été acté par la loi El Khomri et par l’insuccès des manifestations contre cette loi. Nous savions qu’il ne se passerait rien de décisif ni dans la rue ni dans le mouvement syndical. Macron n’avait donc pas intérêt à tergiverser. Sa conviction était que ces mesures étaient très importantes, moins pour la société française que pour donner des gages à l’Europe et aux entreprises étrangères, pour qui il paraissait de moins en moins tentant de s’installer en France. 

En quoi la politique de Macron vous a-t-elle surpris ?

Il fait des réformes sur de grands sujets mais il s’agit souvent de petites réformes. Il ne touche pas à l’État, ni à ce qui concerne vraiment la vie des gens. Il est libéral en économie. Plus précisément, il vient d’une sorte de libéralisme de gauche qui n’a jamais eu de représentant dans l’histoire politique française. C’est son substrat. Libéral en économie, et en même temps énarque. Il croit donc en l’État qui organise et pilote. Selon lui, pour bouger la machine administrative, il faut d’abord avoir débloqué les verrous de la société française. La réforme de la fonction publique est cependant inscrite dans l’an II du mandat. Ce sera l’un des dossiers les plus difficiles à gérer. On pourrait assister à la mise en cause du statut des fonctionnaires.

Que voulez-vous dire par l’absence de mesures concernant la vie des gens ?

Je pense aux mesures sociétales. Aujourd’hui, une des variables d’identification du progressisme ou du conservatisme, c’est moins l’économie que la PMA pour les femmes, la GPA, la question de la fin de vie. Des sujets qu’il a renvoyés au comité d’éthique. Il n’a pas avancé sur ces terrains où nombre de Français l’attendent. Sur le travail, outre les réglementations sur l’emploi ou le chômage, aucun point ne concerne le pouvoir d’achat. Les électeurs avaient pourtant entendu la promesse d’une possible augmentation de celui-ci pour les classes moyennes et populaires. Rien ne s’est passé, ou de façon négative comme pour les APL, la CSG ou les retraites. On a le sentiment que ce sont les riches et même les plus riches qui ont profité de sa politique. 

Libéral en économie, étatiste… De qui peut-on le rapprocher ?

Je ne vois pas. C’était un OVNI comme candidat. C’est aussi un OVNI comme dirigeant, sans équivalent ni dans la vie politique française ni sur le continent européen en ce moment. Il est pétri d’histoire et nous le montre sans arrêt. Il est très fier d’incarner une modernité sans précédent. Ce qu’il vient de réussir depuis deux ans, c’est de mettre à bas un système politique. Les Français le demandaient. 

Pourtant 56 % d’entre eux désapprouvent son action, notamment la gauche. Est-ce un problème de pédagogie ?

Soyons prudents avec les sondages. La gauche hors de La République en marche pèse politiquement très peu. Dans LREM, Macron a gardé l’essentiel de son électorat qui vient de la gauche. En plus des 44 % de Français qui approuvent son bilan, il bénéficie d’une confiance diffuse chez ceux qui, même s’ils sont critiques, attendent de voir les résultats avant de juger. Macron a raison de dire qu’un quinquennat c’est cinq ans, pas un an. La photo n’est pas encore développée. 

Cette image de président des riches est-elle ancrée dans l’opinion ?

Oui, et il ne va pas s’en débarrasser facilement, sauf à prendre des mesures très fortes dans l’autre sens. Mais elles ne pourront pas être aussi marquantes que celles concernant l’impôt sur la fortune, l’exit tax ou la baisse de la taxation des revenus du capital. 

Est-ce qu’il n’en a pas trop fait avec Trump ?

Merkel et lui se sont partagé les rôles. Merkel joue la statue du Commandeur européen. Lui joue l’amitié envahissante. Ça n’a pas marché, avec le double retrait américain de l’accord sur le climat et de l’accord sur le nucléaire iranien. Macron a donné ici le sentiment de n’avoir jamais préparé de plan B. Or c’est ça, la diplomatie. On ne pouvait pas être surpris par les décisions de Trump. Macron a dû improviser sur place un plan inapplicable et surtout inacceptable pour les autres signataires, mettant tout le monde dans l’embarras. Il a surtout montré aux autres Européens qu’il faisait cavalier seul. Refroidir ses propres alliés potentiels sur un dossier aussi crucial n’est pas une bonne chose. 

En quoi Macron peut-il être son propre adversaire ?

Il n’en a pas beaucoup d’autres ! C’est la gestion macronienne qui va dessiner le cadre à partir duquel une opposition pourrait exister, celui d’où les ennuis pourraient surgir. Macron pourrait ainsi réveiller des ennemis au sein des partis ou des corps intermédiaires s’il se montre contradictoire sur certains dossiers comme la banlieue, la santé, la PMA.

Les élections européennes de 2019 sont-elles un écueil ?

Le résultat des européennes n’a jamais rien changé aux élections d’après. Les mouvements qu’on observe en France sont si lourds et profonds que jamais un président n’a été aussi bien parti pour effectuer deux mandats. Voyez les changements politiques acceptés par les Français. Ils ont basculé dans le nouveau monde ! Personne ne pensait que LREM serait majoritaire aux législatives. Les électeurs ne veulent pas revoir les responsables d’avant. C’est Hollande qui rend le plus service à Macron. 80 % des Français ne souhaitaient pas qu’il se représente. Et voilà qu’un an après, il dit ce qui ne va pas. Pour Macron, c’est pain bénit ! 

 

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO et Laurent Greilsamer

 

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