Quel est le rapport à l’image d’Emmanuel Macron ? 

Il s’en soucie encore davantage que ses prédécesseurs. Emmanuel Macron a développé un rapport à l’image quasi obsessionnel. Avec lui, la mise en scène du corps présidentiel s’opère jusque dans les moindres détails. Les hommes politiques sont généralement très préoccupés par les micros qui traînent. Ils prennent soin de choisir les mots qu’ils utilisent. Mais certains aspects – ceux qui m’intéressent en tant que réalisateur et que le documentaire permet de révéler – leur échappent : le mouvement des corps, les regards, les silences… Emmanuel Macron tente aussi de contrôler cette dimension-là, et ça se voit.

Cette préoccupation est-elle en lien avec son statut de président de la République ?

Elle existait avant même son élection. J’ai très peu filmé Emmanuel Macron, mais je me souviens d’un début de Conseil des ministres, à l’été 2014, auquel j’ai assisté à l’occasion du tournage de mon documentaire Un temps de président. C’était le premier conseil de Macron, juste après le remaniement ; des photographes avaient été conviés dans le salon Murat. Emmanuel Macron s’est fait attendre : il fut le dernier ministre à entrer dans la salle, sous les crépitements des flashs. On pourrait croire au hasard, mais la mise en scène était déjà manifeste, me semble-t-il. Et les regards en disaient long. 

Dans cette tentation de la maîtrise absolue, quelque chose lui échappe-t-il ?

Cette mise en scène de lui-même, justement, trop visible, finit par lui échapper. De 1989 à 1993, François Mitterrand avait laissé Hugues Le Paige le filmer avec, semblait-il, une certaine liberté. Près de vingt ans plus tard, en visionnant de nouveau ses rushes, le réalisateur belge s’était rendu compte que le président avait en réalité maîtrisé les moindres détails devant sa caméra. Le Paige en a d’ailleurs fait un autre film, superbe, Le Prince et son image (2010). Avec Emmanuel Macron, c’est pareil, mais inutile d’attendre tant d’années pour voir apparaître les dessous du décor. Ils sautent aux yeux, et c’est Macron lui-même qui nous les fait remarquer : il ne peut résister au plaisir de se commenter lui-même. C’était le cas pour son portrait officiel, très travaillé, dont les coulisses avaient été dévoilées par le service de communication de l’Élysée. Et cette poignée de main virile et interminable avec Donald Trump, durant laquelle il garde la mâchoire et le poing serrés. Cet épisode est assez réussi, on voit qu’il a le dessus sur son homologue, mais le fait qu’il le commente lui-même trois jours plus tard dans le Journal du dimanche fait retomber l’effet comme un soufflet. 

Un moment vous a-t-il particulièrement marqué ? 

Le soir de son élection. À mes yeux, la séquence du Louvre, qui a tant plu à Donald Trump, est ratée. Macron fait son entrée dans une sorte d’obscurité, sur fond d’Hymne à la joie de Beethoven. Tout est très fabriqué, emprunté. Il ne sait pas où poser son regard. La scène est d’ailleurs assez mal filmée, souvent en contre-plongée, et mon œil est alors attiré par un détail : le dessous de ses semelles, deux taches claires dans le noir. On ne voit plus que ça ! Il y a aussi cette multiplication des symboles, dont il abuse. En se plaçant devant la pyramide dans une symétrie parfaite, il surjoue. On retrouve cette image pyramidale dans ses meetings de campagne, dans la manière dont se plaçaient ses sympathisants autour de lui, puis lors de l’entretien télévisé mené par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin au Trocadéro, avec la tour Eiffel en arrière-plan derrière lui. La forme pyramidale incarne sa vision du pouvoir de président-monarque.

Dans une interview au 1 datant de 2015, Emmanuel Macron dresse un parallèle entre le rôle du roi et celui de président de la Ve République. Comment met-il en scène cet héritage monarchique ? 

Dans ses paroles, d’abord. Dans le documentaire de Bertrand Delais, Macron président, la fin de l’innocence (2018), il explique qu’il a parlé aux obsèques de Johnny Hallyday pour consoler ou soulager son peuple et communier avec lui. Je ne sais plus si ce sont ses mots exacts, mais c’est l’image du roi thaumaturge qui aime toucher, soigner, guérir. Dans les lieux choisis pour les grandes occasions : le Louvre pour son investiture, Chambord pour son anniversaire, Versailles pour recevoir Poutine. Mais aussi dans le couple qu’il incarne avec Brigitte et qui fascine. Ce couple non plus n’échappe pas aux mises en scène répétées, comme lorsqu’il se fait ouvrir le jardin des Tuileries une nuit pour rentrer à pied à l’Élysée, main dans la main. On est proche de l’image de Valéry Giscard d’Estaing qui présente ses vœux au coin du feu, sa femme à ses côtés. Lui aussi avait un côté royal. En 1981, sur ses affiches de campagne dont le slogan était « Il faut un président à la France », ses opposants aimaient ajouter « pas un monarque ». Macron ressemble à Giscard à bien des égards dans sa manière de se présenter au monde. S’inviter régulièrement chez les Français est typiquement une initiative qu’aurait pu prendre Macron si son prédécesseur ne l’avait déjà fait. 

Valéry Giscard d’Estaing incarnait la modernité. Quid de Macron ?

Macron cherche la rupture, tout en s’inscrivant dans une lignée historique. C’est une sorte de paradoxe qu’il semble assez bien maîtriser. Le terme « moderne » conviendrait davantage à Édouard Philippe. Ils sont tous les deux à l’opposé et se complètent bien, le Premier ministre incarnant le corps humain, le président le corps souverain. 

Le pouvoir, tel qu’il est exercé en France, répond-il nécessairement à une mise en scène ?

Il y répond principalement à cause de cet héritage monarchique. Emmanuel Macron a raison quand il affirme que les Français aiment ça. Ils aiment aussi les défilés du 14 Juillet, tiennent aux protocoles, au lustre d’antan, mais veulent encore pouvoir couper des têtes. Mon film avec François Hollande aurait été bien différent si j’avais dû le tourner dans un lieu flambant neuf comme la Chancellerie allemande plutôt qu’au palais de l’Élysée où le temps s’est arrêté, où le téléphone mobile ne passe pas. Gaspard Gantzer, son conseiller en communication, parcourait le château de long en large pour trouver du réseau, tandis que le secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet se plaignait de la climatisation qui ne fonctionnait pas. Si vous m’interrogiez comme citoyen, je vous dirais que l’Élysée n’est peut-être pas le lieu le plus adapté à l’exercice du pouvoir. Mais en tant que réalisateur, je réponds : surtout ne changez rien ! 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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