Nos politiques culturelles publiques fourmillent de préjugés. Qui n’a jamais entendu des affirmations fatalistes du type : « Les jeunes ne lisent plus », ou encore : « Les filles n’aiment pas la culture scientifique » ? Il est temps de regarder différemment le goût des autres. Il faut bien sûr garder à l’esprit, outre les apports anciens de Bourdieu sur les pratiques culturelles en termes de mutations du capital culturel, la pertinence des études sur la médiation et sur l’évaluation des politiques publiques. Il n’est plus possible aujourd’hui d’envisager un projet à vocation scientifique et/ou culturelle sans un volet consacré à la médiation, entendue comme passerelle écrite, orale, virtuelle ou physique entre une œuvre artistique ou une proposition culturelle et un ou des publics. Ces travaux font apparaître un constat : la démocratisation n’aurait pas fonctionné. C’est en partie vrai, en partie faux. Tout dépend de qui parle : un directeur d’établissement culturel, un élu, un acteur du champ social, un enseignant ou tout simplement le public.

Les œuvres et contenus culturels circulent de manière croissante dans le monde et contribuent à façonner des répertoires et des goûts juvéniles désormais internationalisés

En réalité, la manière de vivre la culture a énormément évolué depuis la pandémie. Dans certains secteurs, le Covid a profondément modifié les habitudes, par une consommation accrue des offres culturelles et audiovisuelles, des jeux vidéo aux visites de musées virtuels, des réseaux sociaux aux spectacles en ligne, en particulier par les jeunes mais aussi par les seniors. Cette situation nouvelle nous oblige à regarder et accueillir l’autre en tenant compte de ces modifications substantielles.

Je pense notamment que le temps est venu de prendre en compte l’amateur cosmopolite. Les œuvres et contenus culturels circulent de manière croissante dans le monde et contribuent à façonner des répertoires et des goûts juvéniles désormais internationalisés. Ainsi, la série Game of Thrones, qui a battu tous les records d’audience, Waka Waka, l’hymne de la Coupe du monde de football de 2010 en Afrique du Sud interprété par Shakira, chanteuse colombienne qui fait carrière aux États-Unis, ou encore Naruto, personnage éponyme d’un manga japonais à succès, sont-ils devenus des références partagées par les jeunes Français, aux côtés d’icônes nationales comme Astérix ou David Guetta. 

Les institutions culturelles valorisant d’abord la haute culture française

Mangas, comics, films asiatiques, blockbusters hollywoodiens, cinéma bollywoodien fonctionnent comme autant de fenêtres sur le monde et contribuent à rendre l’étranger familier. L’étude L’Amateur cosmopolite : goûts et imaginaires juvéniles à l’ère de la globalisation de la culture, publiée en 2017 par Sylvie Octobre et Vincenzo Cicchelli, n’a pas eu l’écho qu’elle aurait mérité. Et pour cause : nous sommes fermés à cette idée de culture cosmopolite, les institutions culturelles valorisant d’abord la haute culture française. Or, aujourd’hui, comme le rappellent justement les deux auteurs, « ce cosmopolitisme se manifeste par des formes de curiosité et d’attraction à l’égard de produits, d’œuvres et de pratiques dont les codes esthétiques et culturels se situent en dehors du canon esthétique et du corpus de la culture nationale de l’individu ».

Si nous acceptons de regarder ces nouvelles pratiques culturelles dans toute leur diversité, en prenant en compte le local et le global, notre projet en ressortira fort, enrichi, inclusif, tout simplement plus humain.

N’oublions pas que la culture, c’est aussi les petits riens, le « sel de la vie », cher à Françoise Héritier. C’est cela le goût des autres, et c’est la philosophie qu’incarne la candidature de Clermont-Ferrand au titre de capitale européenne de la culture en 2028. 

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