Si la culture rassemble tous les éléments, petits et grands, publics et privés, intimes et sociaux, esthétiques et intellectuels, tous les détails, énormes ou insignifiants, qui nous font comprendre, aimer et interroger notre monde, qui nous projettent dans des mondes à l’intérieur du nôtre, alors le lieu d’où je viens, l’endroit où j’ai grandi, étudié, l’endroit où j’ai vécu étudiante, puis autrice, a rempli son rôle d’éducation culturelle à merveille : Clermont-Ferrand fut, est et sera pour moi cette personne silencieuse avec laquelle vous grandissez sans vous rendre compte de son influence tant que vous ne la quittez pas. C’est toujours en revenant aux endroits où l’on a grandi que l’on comprend à quel point on a changé : j’ai eu la chance, et le privilège, d’apprendre à vivre dans un endroit qui a eu la patience et les ressources pour cela.

D’abord, c’est évidemment une affaire de paysages, et vous n’y couperez pas, car ce sont eux qui m’ont ouverte à la littérature : celle des auteurs et autrices lointains, fantastiques, mais, au sein de leur magie, ils parlaient des montagnes, des volcans, des lacs, ils parlaient aussi depuis l’Amérique de celles et ceux qui grandissent dans les montagnes, les volcans et les lacs. Que ce soit Tolkien, Stephen King ou Annie Proulx, j’ai mis un pied en lecture par la force du paysage. Puis, revenant à moi-même comme on fait quand on passe l’adolescence, je suis revenue aux contes d’ici, aux légendes de la Vouivre, de la Bête du Gévaudan. À l’humour mélancolique de Vialatte, aux fabuleux écrits de Pierre Michon, à la verve sans défaut de Marie-Hélène Lafon. Il y a dans ces terres de drôles d’animaux d’écriture qui n’aiment pas être embêtés.

Grâce à la vie culturelle à Clermont-Ferrand, j’ai compris, à l’école et en dehors, que j’écrirai des histoires

Clermont-Ferrand dans ce long moment que furent les années 1990 et 2000, les années de la capitale du rock, de la construction du tramway, du train qui monte au sommet du Puy-de-Dôme, de la fermeture puis de la reprise de la meilleure librairie de France, qui porte si bien son nom – Les Volcans –, les années de découverte des salles de concert, de théâtre, encore une fois ou minuscules ou imposantes – en particulier pour celles et ceux qui vivent autour de la grande ville, dans de petits villages, et qui doivent demander qu’on les emmène partout car, oui, sans le permis rien n’est permis. Ce furent ces moments de grands remuements à la Coopérative de Mai ou à la Cour des Trois Coquins, les découvertes au Petit Vélo et Aux Ambiances – le cinéma, partout, tout le temps, dont j’ai cru qu’il serait ma vocation en intégrant une classe spéciale au collège, au lycée, puis en préparatoire. Grâce à la vie culturelle à Clermont-Ferrand, j’ai compris, à l’école et en dehors, que j’écrirai des histoires, très vite c’était là, évident, tenace, je n’ai pas fait de cinéma mais, en griffonnant des scénarios, tout est devenu simple : écrire serait le meilleur moyen de vous dire à quel point cet endroit fut magique et formateur, comme le sont les grands livres de l’enfance et les premières histoires d’amour.

Cet endroit m’a bâti une âme capable d’écrire, des jambes capables de courir, une voix capable de poser des questions sans trembler

Je peux aussi vous parler de ce que ces lieux ont fait de moi physiquement, de la grande influence sportive, car le geste sportif, oui, celui-là, si beau, si puissant, est un geste artistique, une ouverture sur le monde et le corps et ici, sur les sentiers du Sancy, sur le tartan du stade Philippe-Marcombes ou des Cézeaux, dans les gradins de la patinoire de La Pardieu, cet éveil-là a eu lieu, en même temps que celui aux notes, aux partitions, aux vers, au roman ou au théâtre. Il y eut de longs après-midi à lire au parc Montjuzet, au soleil, en regardant la ville frémir devant mes pieds, pendant que les fleurs lui faisaient une couronne. Le courage, plus tardif, qu’il a fallu pour entrer la première fois dans une galerie d’art, dans un centre d’art contemporain, car on ne dit jamais à quel point ce geste, quand on n’a pas été habitué à cela, quand on n’y connaît rien, quand on a peur de ne pas être à sa place et que cela se voit, à quel point ce geste est important, à quel point il nous transforme, comme nous, humains, nous transformons les lieux et les villes sans penser à cette influence de chaque jour qu’ils et elles ont sur nous. Cet endroit m’a bâti une âme capable d’écrire, des jambes capables de courir, une voix capable de poser des questions sans trembler. Cela prend des années, mais Clermont-Ferrand, pour une génération, je crois, est une place capitale.  

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