L’esprit des assurances sociales
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« Toute notre législation d’assurance sociale, ce socialisme d’État déjà réalisé, s’inspire du principe suivant : le travailleur a donné sa vie et son labeur à la collectivité d’une part, à ses patrons d’autre part, et, s’il doit collaborer à l’œuvre d’assurance, ceux qui ont bénéficié de ses services ne sont pas quittes envers lui avec le paiement du salaire, et l’État lui-même, représentant la communauté, lui doit, avec ses patrons et avec son concours à lui, une certaine sécurité dans la vie, contre le chômage, contre la maladie, contre la vieillesse, la mort.
Même des usages récents et ingénieux, par exemple les caisses d’assistance familiale que nos industriels français ont librement et vigoureusement développées en faveur des ouvriers chargés de famille, répondent spontanément à ce besoin de s’attacher les individus eux-mêmes, de tenir compte de leurs charges et des degrés d’intérêt matériel et moral que ces charges représentent. Des associations analogues fonctionnent en Allemagne, en Belgique avec autant de succès. En Grande-Bretagne – en ce temps de terrible et long chômage touchant des millions d’ouvriers – se dessine tout un mouvement en faveur d’assurances contre le chômage qui seraient obligatoires et organisées par corporations. Les villes et l’État sont las de supporter ces immenses dépenses, ces paiements aux sans travail, dont la cause provient du fait des industries seules et des conditions générales du marché. Aussi des économistes distingués, des capitaines d’industries (Mr. Pybus, Sir Lynden Macassey), agissent-ils pour que les entreprises elles-mêmes organisent ces caisses de chômage par corporations, fassent elles-mêmes ces sacrifices. Ils voudraient en somme, que le coût de la sécurité ouvrière, de la défense contre le manque de travail, fasse partie des frais généraux de chaque industrie en particulier.
Toute cette morale et cette législation correspondent à notre avis, non pas à un trouble, mais à un retour au droit. D’une part, on voit poindre et entrer dans les faits la morale professionnelle et le droit corporatif. Ces caisses de compensation, ces sociétés mutuelles, que les groupes industriels forment en faveur de telle ou telle œuvre corporative, ne sont entachées d’aucun vice, aux yeux d’une morale pure, sauf en ce point, leur gestion est purement patronale. De plus, ce sont des groupes qui agissent : l’État, les communes, les établissements publics d’assistance, les caisses de retraite, d’épargne, des sociétés mutuelles, le patronat, les salariés ; ils sont associés tous ensemble, par exemple dans la législation sociale d’Allemagne, d’Alsace-Lorraine ; et demain dans l’assurance sociale française, ils le seront également. Nous revenons donc à une morale de groupes.
D’autre part, ce sont des individus dont l’État et ses sous-groupes veulent prendre soin. La société veut retrouver la cellule sociale. Elle recherche, elle entoure l’individu, dans un curieux état d’esprit, où se mélangent le sentiment des droits qu’il a et d’autres sentiments plus purs : de charité, de « service social », de solidarité. Les thèmes du don, de la liberté et de l’obligation dans le don, celui de libéralité et celui de l’intérêt qu’on a à donner, reviennent chez nous, comme reparaît un motif dominant trop longtemps oublié. »
Extrait de la conclusion d’ Essai sur le don, 1923-1924 © Puf
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