Le bois, les subprimes et les parquets chinois

« Le mot pénurie n’est pas adapté à la situation, car on ne manque pas d’arbres dans les forêts pour servir la demande mondiale. En réalité, ça bouchonne dans les usines de transformation par rapport à la demande instantanée », explique Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois.

Des tensions qui viennent directement des États-Unis où la majorité des maisons individuelles sont fabriquées en bois : à la suite des récentes catastrophes naturelles (incendies, ouragans…), la demande pour ce matériau de construction a explosé sans que la production puisse suivre, en raison du manque d’unités de transformation. « Après la crise des subprimes, faute d’amortisseur social aux États-Unis, beaucoup de scieries ont fermé leurs portes », précise Nicolas Douzain-Didier.

Trump ayant décidé de taxer le bois canadien, les États-Unis se sont tournés vers l’Europe, notamment vers les pays excédentaires comme l’Allemagne ou l’Autriche. Cette forte demande américaine a provoqué une flambée des prix pour les pays qui, comme la France, importent planches et grumes depuis leurs voisins européens : « C’est un peu le jeu des chaises musicales : ce que les Américains ont capté n’était plus disponible pour tous les autres pays européens. Et ceux qui ne s’alignaient pas sur les prix n’avaient pas de bois », explique Nicolas Douzain-Didier.

À cela s’ajoute le cas spécifique du chêne, très demandé par les millenials chinois pour leurs parquets et leurs meubles. Pour protéger leurs forêts, surexploitées depuis des années, les Chinois ont décidé d’interdire la récolte de ce feuillu sur leur territoire pendant quatre-vingt-dix-neuf ans. L’empire du Milieu anticipe également l’arrêt des exportations russes, prévu pour 2022. Et se fournit donc à prix d’or en Europe. « Les scieries françaises manquent de chêne, car les Chinois en prennent un tiers à la source, c’est-à-dire sans aucune transformation. Ça joue sur l’approvisionnement des fabriques de parquet, par exemple », affirme Nicolas Douzain-Didier. Le professionnel rêve que la filière bois française accélère son développement et sa modernisation à travers des investissements sur plusieurs années. En effet, bien que la surface forestière représente 31 % du territoire, le pays n’est autosuffisant en bois qu’à 60 %. Et Nicolas Douzain-Didier prédit que la consommation de ce matériau stratégique continuera d’augmenter à l’avenir.

Le secteur du bois n’en est pas à son premier ébranlement ; le choc pétrolier de 1973 et la crise de 2008 avaient eux aussi eu des conséquences sur la filière. Nicolas Douzain-Didier constate que le marché se rééquilibre tout doucement et estime que le gros de la tourmente est passé. 

Sara Saidi

 

Les semi-conducteurs victimes de leur succès… et du Covid

« Le marché des semi-conducteurs est cyclique, avec des phases de pénurie et de surplus de production depuis son émergence (dans les années 1960) », explique Mathilde Aubry, enseignante-chercheuse en économie à l’école de commerce EM Normandie. Cette tension régulière est due notamment à un déséquilibre entre l’offre et la demande. Téléphones, ordinateurs, consoles de jeux, vélos électriques, électroménager, automobiles… tous ces appareils sont en effet dotés de semi-conducteurs, ce composant à la fois isolant et conducteur qui permet le contrôle d’un courant électrique. Sa conception et sa production nécessitent à la fois une main-d’œuvre ultraqualifiée, des investissements lourds et une infrastructure importante, avec des usines implantées surtout en Amérique et en Asie du Sud-Est. « C’est un secteur dont l’offre est lente et rigide alors que la demande est très rapide », poursuit Mathilde Aubry. 

La crise sanitaire n’a donc fait que renforcer des tensions déjà existantes. Le confinement, le télétravail et les besoins en informatique qu’ils ont entraînés, mais aussi le développement des cryptomonnaies, ont provoqué une augmentation de la demande mondiale en équipements électroniques. En parallèle, la pandémie de coronavirus forçait la production à ralentir. Le fabricant franco-italien STMicroelectronics a ainsi diminué ses effectifs de 50 % dans ses sites industriels hexagonaux au printemps 2020. En juin dernier, c’était l’entreprise taïwanaise KYEC qui devait mettre à l’arrêt deux de ses usines pendant plusieurs jours en raison d’un cluster parmi ses ouvriers. 

En attendant les indispensables semi-conducteurs, des secteurs entiers tournent au ralenti, avec un pouvoir de négociation inégal. Selon Mathilde Aubry, les plus puissants – la téléphonie, l’automobile – se battent pour être prioritaires et jouent sur les prix, au détriment des petites start-up européennes d’e-santé ou d’e-agriculture.

Pour ajouter aux tensions du secteur, plusieurs entreprises chinoises – dont Huawei et SMIC – ont été placées sur liste noire par Donald Trump et ne peuvent donc plus se fournir en semi-conducteurs américains, ni même avoir accès aux technologies conçues aux États-Unis. Un revers de taille qui pousse la Chine, le plus grand consommateur mondial de semi-conducteurs, à stocker tout ce qu’elle importe, accroissant ainsi les tensions sur le secteur.

Enfin, l’industrie des semi-conducteurs, grande consommatrice d’eau, subit déjà les conséquences du changement climatique. Taïwan, où se concentrent les deux tiers de la production mondiale de semi-conducteurs, connaît une sécheresse sévère qui risque d’aggraver la pénurie. L’enjeu sera donc de réussir à décentraliser et diversifier les sites de production de semi-conducteurs tout en limitant les coûts. La pénurie actuelle risque de durer, selon les experts, jusqu’à fin 2022-début 2023. 

Sa.S.

 

Le gaz dopé par la reprise, la géopolitique... et la logistique

99 % du gaz consommé en France est importé. Un chiffre qui symbolise l’extrême dépendance de l’Hexagone aux marchés internationaux et à l’évolution des prix du gaz naturel, composé essentiellement de méthane. Ceux-ci ont fortement augmenté au début du mois d’octobre avec une hausse du tarif réglementé de 12,6 %. Une hausse qui fragilise l’Hexagone, mais aussi l’Union européenne où seuls les Pays-Bas exploitent (un peu) de la précieuse ressource. La production mondiale reste dominée par les États-Unis, qui exportent peu, et la Russie. La Norvège, l’Algérie ou les pays du Golfe exportent également cette énergie fossile vers l’Union.

La hausse du prix du gaz s’explique par la conjugaison de trois facteurs. La forte reprise économique entraîne une importante demande d’énergie fossile pour faire tourner les usines, mais l’offre a du mal à suivre. Les cours du gaz ont donc bondi de 300 % en un an en Europe. Les entreprises pourraient certes recourir au charbon, mais il s’agit d’une énergie plus polluante, et qui coûte donc plus cher en crédits carbone.

La géopolitique joue aussi sa part dans l’explosion gazière. Les pays producteurs, et d’abord la Russie, premier exportateur vers l’UE, ont tout intérêt à faire durer cette période de prix élevés en écoulant leur butin avec parcimonie. « Les dirigeants russes peuvent avoir une certaine satisfaction à voir l’UE se débattre avec ses contradictions, elle qui essaie de diminuer sa dépendance vis-à-vis de la Russie », analyse Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). En froid avec la Russie depuis l’affaire Navalny, cet opposant russe victime d’une tentative d’assassinat, les Vingt-Sept et les États-Unis ont par exemple freiné la construction du gazoduc Nord Stream 2, chargé d’acheminer le gaz de la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique. Des retards de mise en œuvre qui augmentent encore la tension sur les prix en Europe.

Le gaz naturel peut aussi circuler par bateau sous sa forme liquide, notamment en provenance du Qatar ou de l’Arabie saoudite. Mais le refroidissement nécessaire pour liquéfier le gaz, - 162 °C, coûte cher. Les bateaux méthaniers suivent également la règle du plus offrant. Les pays européens bataillent donc avec les pays asiatiques pour mettre la main sur les précieux navires-citernes.

Difficile de savoir jusqu’à quand les prix du gaz resteront si élevés. Le gouvernement espère une baisse au printemps, une fois passée la période tendue de l’hiver. 

Martin Delacoux

 

Quand le changement climatique menace nos assiettes de pâtes

Un dôme de chaleur étouffant au Canada, un été exceptionnellement pluvieux en Europe, et c’est toute une filière qui tangue. Le 16 août, les syndicats français des fabricants de pâtes alimentaires (SIFPAF) et de semoule (CFSI) publiaient un communiqué alarmant : « Le dérèglement climatique met en danger le marché des pâtes alimentaires. » En cause : les mauvaises récoltes mondiales de blé dur, cette céréale qui permet de produire la semoule de couscous mais aussi les coquillettes, les penne et les spaghettis – tandis que le blé tendre sert de base aux farines ou encore aux nouilles asiatiques.

Le Canada est le premier producteur mondial de blé dur, avec des récoltes traditionnellement proches du total de celle de l’Union européenne. Mais cette année, le géant nord-américain devrait produire deux fois moins que les Vingt-Sept : seulement 3,5 millions de tonnes sont attendues pour la récolte 2021-2022, contre 6,6 millions de tonnes l’an dernier. En cause : la canicule exceptionnelle, avec des pics de chaleur à 49,7 °C, qui a sévi en Amérique du Nord au début de l’été. La province de Saskatchewan, le grenier à blé dur du Canada, a payé le prix fort de cette sécheresse exceptionnelle.

Certes, l’Italie, la France ou l’Espagne cultivent également cette céréale, et les quantités s’avèrent équivalentes cette année à celles de la précédente. Mais cette fois c’est la qualité de la récolte qui a pâti des conditions météorologiques, avec un été européen particulièrement arrosé. « L’amidon est endommagé en raison de la pluie et de l’humidité. Cela va donc amoindrir le rendement des industriels », explique Christine Petit, secrétaire générale du SIFPAF et du CFSI. Une céréale gâtée par les intempéries ne pourra pas, par exemple, être utilisée pour fabriquer des pâtes à cuire al dente.

En France, tout cela pourrait se traduire par « une légère hausse » des prix selon le président du groupement Les Mousquetaires Didier Duhaupand, interrogé par France Info. « La pénurie de blé dur se ressent davantage au niveau mondial », précise Christine Petit. Certains pays sont obligés de s’adapter. La Turquie, par exemple, a fait passer de 20 % à 50 % le taux de blé tendre acceptable dans ses pâtes alimentaires, avec une consistance qui va donc changer.

La filière blé dur plie sous les coups de boutoir du changement climatique mais ne rompt donc pas. Pour le moment. Les événements climatiques extrêmes comme celui qui s’est déroulé au Canada sont amenés à se multiplier ces prochaines années. 

M.D.

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !