Les pénuries touchent la France en ce début d’automne. Pour nous, qui sommes habitués à avoir tout ce que nous désirons, c’est insupportable. Alors nous blâmons le virus et le climat (c’est plus facile), sans remettre en question la structure même de l’économie mondiale, globale, homogène, complexe, instantanée ; sans nous rendre compte qu’en augmentant la longueur et la connectivité des chaînes d’approvisionnement (désormais à flux tendus), et en réduisant les stocks à néant (trop cher), le système économique mondial a gagné en efficacité ce qu’il a perdu en résilience : il encaisse et se remet plus difficilement des chocs. Les pénuries viennent nous rappeler que nos conditions de vie à ce moment et à cet endroit précis dépendent de ce qui s’est passé il y a peu à de nombreux endroits de la Terre.

L’« hyperglobalisation » a donc décuplé et connecté… les risques propres à chacun des secteurs et des régions, devenues interdépendantes. Un méta-risque est ainsi apparu : le risque systémique global. Un choc peut faire brutalement vaciller l’ensemble. En 2012, le Forum économique mondial – qui planchait déjà sur le thème de la résilience – faisait remarquer que les chocs systémiques étaient dus à « des chaînes d’approvisionnement efficaces qui ne laissaient pas de place à des événements catastrophiques ». Or, des événements catastrophiques, nous n’allons pas en manquer ! Si la structure de l’économie mondiale ne change pas, nous vivrons d’autres chocs systémiques, possiblement plus graves que celui des subprimes ou du Covid – crise bancaire, défaut de paiement d’un grand pays, conflit majeur, panne d’Internet, black out géant, méga-sécheresse… Sur cette voie, il faudra donc s’habituer aux pénuries.

Mais, rétorqueront certains, la mondialisation n’a-t-elle pas apporté précisément de la résilience à certaines régions ? C’est exact : le commerce global réduit les risques de catastrophe locale. Par exemple, une région touchée par une sécheresse peut s’approvisionner auprès des régions voisines. Mais ce que l’on a pour l’instant ignoré, c’est que l’inverse est aussi vrai : le local nous prémunit des risques globaux, comme on l’a redécouvert lors du premier confinement.

Les physiciens peuvent témoigner que pour augmenter la résilience d’un système, il faut le compartimenter (des pare-feux pour éviter la contagion des chocs), réduire le gaspillage et les flux trop importants (sobriété), créer de la redondance (plusieurs voies pour répondre à la même fonction), constituer et partager des stocks (nombreux et placés à plusieurs endroits). Autrement dit, l’exact inverse de la globalisation telle que nous la connaissons ! Sur cette voie, ce que nous gagnerons en résilience, nous le perdrons évidemment en efficacité… C’est un choix politique, celui de sortir de la course à l’échalote que nous continuons de mener. Nous savons depuis les années 1990 que si le monde entier consommait comme les pays riches, il nous faudrait « plusieurs planètes ». Conserver notre niveau de vie est donc un crime : soit nous maintenons les autres pays à un niveau de pauvreté qui permette d’avoir un niveau global qui ne détruise pas trop la biosphère, soit nous leur donnons envie de nous ressembler… et c’en sera vite fini de l’habitabilité de notre Terre. Partager revient donc obligatoirement à réduire notre niveau de vie.

Ces pénuries, comme toutes les catastrophes, sont des opportunités de changement. Elles nous forcent à expérimenter. Que voulons-nous garder d’essentiel ? Que pouvons-nous abandonner ? Dans cette voie de la sobriété, donc du partage, donc de la paix, il faudra aussi s’habituer aux pénuries. Alors, profitons-en pour changer ! 

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