OLLIERGUES (Puy-de-Dôme). L’atelier, construit contre une paroi rocheuse, a des allures de grotte. Des fagots de branchages, appuyés aux murs, sèchent lentement malgré l’humidité ambiante. Sous la lumière jaune d’une vieille lampe, Patrick Tourre est à son poste. Sa profession : fabricant de crayons à l’ancienne.

Vissé à son tabouret, les deux pieds plantés sur le sol recouvert d’une épaisse couche de sciure, ce géant sexagénaire aux boucles blondes perce le cœur des branches. Il a lui-même fabriqué sa machine : un foret à métaux relié à un moteur, le tout fixé à sa table de travail. Derrière ses lunettes rondes, son regard bleu fixe ses larges mains qui maintiennent la fine branche en passe de devenir un crayon. 

« Adolescent, j’avais une fascination pour les mains, raconte-t-il. Elles étaient pour moi un objet de contemplation, et non pas un outil. » Enfant maladroit, il était destiné par ses parents à une carrière intellectuelle. Il deviendra pourtant artisan. Depuis vingt ans, les mains de cet ancien frigoriste répètent inlassablement les mêmes gestes, colorant le cœur et donnant vie à des milliers de morceaux de bois chaque année. 

« Pour bien faire, les mains doivent entrer dans une sorte d’hypnose », explique-t-il. Oublier ses dix doigts. Le corps entier devient outil. Ne plus penser pour seulement sentir le bois. Si les mains se figent, la branche étroite se brise. Si elles se relâchent, même résultat. « C’est le bois qui guide la machine, c’est lui qui décide. » 

Patrick Tourre s’est intéressé à une trentaine d’essences différentes avant de trouver sa matière de prédilection : la branche de saule, gonflée par l’eau des rivières. Son cœur tendre se creuse facilement pour accueillir les mines de couleur que l’artisan achète à un fournisseur dont il préfère taire le nom car, dit-il, « un secret se partage, mais pas un trésor ».  Il aime raconter la rumeur qui court au sujet du moulin Richard de Bas, une vieille papeterie située dans la commune d’Ambert, à une vingtaine de kilomètres de là : « L’histoire dit que, chaque nuit, les apprentis étaient enfermés dans leurs lits-clos pour ne pas aller répéter le secret de la fabrication du papier. » Nous aurons tout de même le droit de connaître la recette des mines de crayon : du kaolin – un minéral qui sert de base à la porcelaine –, des pigments, un liant et de l’eau, le tout mis en forme, séché puis cuit dans du suif au bain-marie. 

Une fois la mine insérée, l’artisan taille sommairement le crayon au couteau. À l’aide d’une meule, il parfait son œuvre, enfin prête à être utilisée. Pour Patrick Tourre, chaque main a sa propre personnalité et chaque crayon fabriqué à la main est unique. Il tient à garder intacte l’« esthétique de chaque branche ». 

Sur une grande table, à l’entrée de l’atelier, des centaines de crayons colorés attendent d’être choisis et essayés par de petites mains. Les enfants, a observé l’artisan, aiment les crayons fabriqués à la main, à condition qu’ils soient « bien lisses, bien propres ». Les adultes, quant à eux, les préfèrent «  un peu torturés ». Patrick Tourre n’est pas inquiet pour l’avenir de ses crayons. Reconnu pour ses vertus relaxantes, le coloriage est à la mode. Et si la méditation ne passait plus seulement par le souffle, mais aussi par les doigts ? 

 

L’atelier de Patrick Tourre, baptisé L’Île aux crayons, se situe 29 rue du Rhin et Danube, dans le village d’Olliergues, en Auvergne, sur la Route des métiers. Des visites par groupe de dix personnes sont organisées d’avril à octobre, sur réservation. 

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