Depuis des décennies, c’est dans la chanson que s’incarnent les nouveaux usages de la langue. Les mots à la mode, l’argot du moment, le parler « branché » de l’époque colorent toute l’histoire de la chanson française. Dans la France d’après-guerre déjà, Édith Piaf, « la Môme », chantait l’argot populaire de Paris. Dans les années 1980, les chanteurs comme Renaud émaillent leurs chansons des expressions des jeunes parisiens – de « chouraver » à « bonbec », en passant par « minot ». Au tournant du siècle, c’est le parler des banlieues de Paris qui a la part belle, lorsque des rappeurs comme NTM font découvrir au reste de la France le verlan. 

Mais, depuis quelques années, Paris n’est plus le centre autour duquel toute la chanson française gravite – en partie grâce à la multiplication des réseaux et des canaux d’écoute, en dehors des grandes radios de la capitale. Et cela s’entend dans les paroles ! Les innovations linguistiques viennent désormais également en grande partie des parlers régionaux. Cela n’est bien sûr pas inédit – on se souvient de la Compagnie créole qui, à la fin des années 1980, a mis en avant les idiomes des Antilles, ou encore des Toulousains de Zebda qui, en 1998, faisaient découvrir au reste de la France l’expression occitane « Tomber la chemise ». Mais le phénomène est nettement plus marqué à présent. Bon nombre de chanteurs et de chanteuses célèbres sont aujourd’hui la raison principale pour laquelle des vocables locaux, habituellement voués à rester dans les limites de leur région, s’exportent dans toute la France, et ailleurs. Le rappeur marseillais Jul en est un exemple très frappant. Extrêmement populaire auprès des jeunes, qui l’écoutent en streaming sur toutes les plateformes, il utilise dans ses chansons de nombreuses expressions typiquement locales comme « tarpin » (très, trop) ou « emboucaner » (escroquer, enfumer). Ces expressions remontent alors jusqu’à Paris, où elles sont intégrées au vocabulaire courant des jeunes, puis « centrifugées » vers les autres régions de province. En conséquence, on entend désormais de jeunes Normands, de jeunes Suisses, et même le président Macron, utiliser l’expression « dégun » pour dire « personne ». L’interpellation « fratè » (frère) a, elle, quitté la Corse et transité par Marseille, où elle est apparue dans plusieurs chansons, pour ensuite se diffuser dans toute la France, où elle est désormais en passe de remplacer « gros » ou « cousin ». 

Ce phénomène n’est pas restreint aux régions de France métropolitaine. La chanteuse belge Angèle a ainsi récemment popularisé le terme « brol » (désordre, bazar). Et depuis quelques années, le parler des jeunes fait par exemple de plus en plus d’emprunts au nouchi, l’argot de la Côte d’Ivoire, comme « djo » (copain) ou « tchouffer » (déconner), ainsi qu’à des formes détournées de l’ancien français telles qu’elles sont encore utilisées dans certaines parties de l’Afrique, par exemple « s’enjailler ». On se souvient d’ailleurs du scandale qui a eu lieu lorsque la chanteuse Wejdene a utilisé le terme « dévierger », pourtant standard dans de nombreux pays francophones d’Afrique.

De l’argot de Piaf à celui d’Aya Nakamura, la langue française ne cesse d’évoluer. Et la chanson se trouve toujours à ses avant-postes !  

Conversation avec LOU HÉLIOT

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